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Cinéma
par Christiane Passevant le 27 mars 2016

Un monstre à mille têtes de Rodrigo Plà

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Le second film distribué en France de Rodrigo Plà, réalisateur de la Zona, est un thriller social et politique abordant de plein fouet le système libéral de santé en place dans de nombreux pays, notamment en Amérique latine, dont le modèle est calqué sur celui des États-Unis. Un système qui a pour seul but le profit, en sacrifiant les malades, sans que cela engage la responsabilité de l’État sinon complice, certainement défaillant.





Un monstre à mille têtes de Rodrigo Plà [note] soulève des problèmes cruciaux liés à la santé publique, aux droits des malades et aux coûts des traitements… Sont en jeu les intérêts des industries pharmaceutiques, des assurances privées et, bien entendu, des actionnaires, bref tout un système échafaudé sur fond de corruption et d’absence d’éthique médicale. La santé a un coût et elle est évidemment à plusieurs vitesses. Pour preuve, le cas dramatique de l’écrivain argentin, Ricardo Piglia, mis en danger par le refus de sa compagnie d’assurance de prendre en charge les médicaments lui permettant de soigner sa sclérose latérale amyotrophique. Soigner coûte cher, et qui ne peut payer n’est pas soigné.

Un monstre à mille têtes, c’est un roman de Laura Santullo, un film de Rodrigo Plà et un scénario élaboré à deux. « Le Mexique est le cadre dans lequel évoluent nos personnages, [souligne Laura Santullo] il y a de la corruption, des inégalités et de la violence, mais la situation n’est pas spécifique à ce pays. La privatisation du secteur de la santé, la bureaucratisation des services de base et le citoyen réduit au rôle de consommateur de polices d’assurances ayant des droits limités sont des problèmes assez répandus dans le monde. »





Si le « monstre » est représenté dans le film par une compagnie d’assurance privée, la critique de ce système pyramidal, qui assure la déresponsabilisation et installe une logique de déshumanisation — parfaitement illustrées dans Un monstre à mille têtes —, cette critique s’adresse tout autant à la santé publique et donc à l’État.

Un monstre à mille têtes met en scène une famille de la classe moyenne mexicaine, affiliée à une assurance privée depuis des années, qui se voit refuser un traitement du cancer sous prétexte que le dit traitement serait encore expérimental. Désespérée, Sonia Bonet va se heurter à la logique du profit mais tout tenter pour obtenir le traitement et soigner son compagnon. Le déni de la mort de l’être aimé va pousser Sonia — incarnée par l’étonnante comédienne de théâtre, Jana Raluy ! — à se révolter et partir à la recherche du médecin référent pour le convaincre d’accorder le traitement. Commence alors un périple hallucinant et une course contre la montre pour lever le blocage du dossier médical.

Le choix de la narration du film donne un récit fragmenté et la vision de plusieurs points de vue, hors champ et parfois contradictoires. En même temps que se déroule chronologiquement la quête de Sonia, entraînée dans une spirale de la violence, il y a le regard de son fils adolescent et — en voix off — les témoignages des personnages vivant le combat de Sonia. « Un animal blessé ne pleure pas, il mord. »





La santé, un droit humain ? Au Mexique comme ailleurs, certainement pas lorsqu’il s’agit du profit des assurances privées, toutefois cela concerne aussi les banques, l’État, les multinationales, dont l’éthique n’est pas au programme, cela produit les « monstres » multiformes des temps modernes. Et le système fonctionne, car la responsabilité est à ce point disséminée, avec la complicité ou l’apathie de la bureaucratie, qu’elle n’est à aucun moment assumée par quelqu’un, une pratique commode pour se défausser sur l’une ou l’autre des mille têtes du monstre. Comme le dit l’une des actionnaires en forme d’excuse : « je ne suis en rien responsable de votre situation, je ne suis que l’actionnaire. »

« Au Mexique, c’est seulement entre 6 à 8 % qui peuvent payer une assurance privée [note] . Nous avons choisi le contexte de l’assurance privée pour poser la question de la responsabilité d’un État incapable de réguler un système de sécurité sociale avec une approche collective, pour le bien de la collectivité nationale. Mais je pense que cela pourrait se passer avec n’importe quelle institution de l’État, l’histoire d’un ou d’une citoyen-ne en butte à la bureaucratie qui n’existe plus alors en tant que personne. En cas de problème, soudain, tu n’es rien, juste un numéro ! »
PAR : Christiane Passevant
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