L'Ami perdu

mis en ligne le 28 décembre 2008

Un été meurtrier

Quand certains meurent, c'est comme si nous faisions un pas dans la mort avec eux : Jean-Pierre nous quitte, c'est une part de ma vie qui s'en va, qui s'évapore dans le néant : nous nous connaissions depuis environ une quarantaine d'années…

Était-ce à l'occasion du renvoi de son livret militaire ? Nous avions publié sa lettre dans la petite revue Anarchisme et non-violence. Était-ce au travail ? Nous avons chassé la coquille et les accords du participe passé, côte à côte, de nuit, dans le cassetin de l'imprimerie Georges-Lang, rue Curial.

Il y eut aussi tous ces voyages en province, toujours pour la petite revue : il faisait le chauffeur, sûr de lui et tranquille. En assemblée, Jean-Pierre, c'était plutôt un taiseux ; le taiseux qui s'active paisiblement dans l'ombre.

Si c'était celui qui tenait le volant, c'était aussi celui qui tenait les comptes ; oui, il tenait, bon, toujours… plutôt que de promettre. Sans son aide, ça n'allait pas ; ça allait moins bien.

Jean-Pierre, on pouvait compter sur lui, en particulier pour des missions pour le moins étranges, comme celle de déménager, en douce, la trentaine de dictionnaires rares de la demeure d'un copain ; épisode comique et cruel à la fois que nous nous garderons bien de raconter ici. Oui, nous avons souvent déménagé ensemble…

Quand je pense à Jean-Pierre, j'affirme qu'il aurait pu me demander n'importe quoi, n'importe quel service ; et je pense à des choses pas très légales, pas très… correctes. On aurait discuté après, mais bien après, si nécessaire…

Notre amitié s'est construite sur des nons dits, sur des petites choses et d'autres un peu plus grandes que l'on maniait avec pudeur, sans phrases.

Il me rappelait, il y a peu, que je lui avais appris, au début de notre rencontre, que le mot « soldes » était quelquefois masculin ; mais, moi, je le consultais régulièrement pour placer mes virgules : il avait une culture, une culture généreuse et discrètement partagée.

Notre amitié, c'était une amitié qui va de soi, simple, quotidienne, sans grands mots, alliée à la plus profonde confiance. Je perds un ami.