Et comment ça se passe chez McDonald’s ? Entretien avec Gilles, secrétaire général du syndicat CGT McDonald’s Paris et IDF

mis en ligne le 30 avril 2015
1774VomitingGroupe Salvador-Seguí : Peux-tu te présenter ?

Gilles : Je m'appelle Gilles Bombard, je suis arrivé à 16 ans chez McDonald's (entreprise McDonald's Ouest parisien) pour avoir une première expérience professionnelle en parallèle à mes études, j'étais en classe de seconde à cette époque. Alors que je n'étais censé rester que quelques mois au départ, mon aventure avec l'enseigne aux arches dorées se prolonge encore aujourd'hui dix ans plus tard, je suis à l'heure actuelle doctorant en droit social.
Plusieurs grandes étapes se sont succédé durant ce parcours. D'abord l'innocence, jeune équipier ne posant pas trop de questions et ne comprenant rien au monde du travail. Puis une légère prise de recul en devenant formateur et responsable de zone avec la mission de rendre plus productifs mes collègues. Enfin la lutte collective en étant représentant du personnel pour défendre ces mêmes collègues, dénoncer les abus que chacun subit lorsqu'il porte l'uniforme de McDonald's.
Je n'étais a priori pas destiné à revêtir la tunique de défenseur malgré le fait que j'accomplissais officieusement ce rôle en restaurant, c'est en 2010 qu'une amie a fait le lien entre ma personne et le délégué syndical CGT de l'époque. Cet illustre syndicaliste dénommé Nicolas est resté longtemps en contact avec moi avant que je ne décide de m'engager. J'étais plutôt méfiant du monde syndical, eu égard notamment à la façon dont les journaux classiques le décrivent, mais j'étais convaincu d'avoir en face de moi une personne honnête et intègre.
Nous avons préparé les élections professionnelles sur le marché de McDonald's Ouest parisien, à la surprise générale nous sommes arrivés en tête en passant de 0 % à 30 % des suffrages, j'ai été élu titulaire au CE, c'était en quelque sorte le début d'une autre vie. Les événements se sont vite enchaînés le temps d'un mandat : arrivés en minorité au CE nous sommes devenus majoritaires pour que je devienne secrétaire du CE, puis délégué syndical suite au départ de Nicolas, enfin aujourd'hui secrétaire général du syndicat CGT McDonald's Paris et Ile-de-France...

Groupe Salvador-Seguí : Peux-tu nous expliquer ce que toi et ta section syndicale avez mis en lumière dans votre entreprise et chez McDonald's en général ?

Gilles : À la sortie des élections professionnelles de 2011, nous sommes entrés minoritaires au CE avec les élus de l'Unsa face à une intersyndicale majoritaire acquise au patronat. Cette majorité nous l'avons renversée, depuis trop longtemps les doutes régnaient autour de la gestion financière du CE, et la transparence était un de nos thèmes de campagne. Nos efforts dans ce domaine ont débouché sur la révélation d'un détournement de fonds massif en interne (un peu plus de 200 000 euros). La direction qui faisait la sourde oreille depuis notre arrivée a été mise devant le fait accompli. S'agissait-il d'une couverture afin que l'ancien secrétaire également délégué d'une autre organisation syndicale signe des accords d'entreprise ? La justice tranchera ce point, l'enquête préliminaire est toujours en cours.
Autre action, nous sommes l'un des rares CE de McDonald's en France à avoir déclenché des expertises sur les comptes annuels de l'entreprise. Depuis la création de l'entreprise McDonald's Ouest parisien, pas un seul euro de bénéfices n'a été dégagé par l'enseigne... Pourtant, il y a des files d'attente dans tous les restaurants, il y a du monde tous les jours à toutes les heures. Comment est-il possible d'affirmer que l'entreprise ne gagne pas d'argent alors qu'il y a plus de quarante ouvertures de McDonald's chaque année en France ? Ce discours scandaleux a été formellement remis en cause à travers les rapports d'expertise. Ceux-ci démontrent que chaque restaurant dégage en moyenne un excédent supérieur à 20 % de son chiffre d'affaires, une performance colossale en temps de crise, mais chaque restaurant reverse également au Siège des frais de redevance représentant en moyenne 22 % de son chiffre d'affaires. Ces frais de redevance correspondent aux droits d'utilisation de la marque (fixe à 5 % du chiffre d'affaires) ainsi qu'à la location du terrain dont McDonald's est propriétaire (variable indexée sur le chiffre d'affaires). Le monde marche sur la tête, McDonald's achète un terrain et le donne en location à son propre restaurant à un prix totalement exorbitant... C'est aujourd'hui la force financière de McDonald's, ce ne sont pas les Big Mac qui rapportent de l'argent mais bien l'immobilier. Ce système financier qui absorbe tous les profits des restaurants aboutit à une double peine : les salariés ne touchent jamais la prime de participation sur les bénéfices, et les contribuables français sont aussi impactés dans la mesure où l'impôt sur les sociétés n'est pas du lorsque l'on ne fait pas de bénéfices, donc moins de recettes fiscales pour l'État.
Bercy s'est interrogé sur ce montage peu scrupuleux, tout comme certains journalistes début 2014 en accusant l'enseigne d'évasion fiscale. Notre CE a dans la foulée déposé une plainte pour fraude fiscale, l'affaire est entre les mains de la justice.
Ce problème est bien mis en valeur par le rapport Unhappy Meal publié par plusieurs fédérations syndicales européennes et américaines au mois de février 2015, les profits de McDonald's seraient massivement délocalisés au Luxembourg, le préjudice estimé pour le fisc français serait de plus d'un milliard d'euros. En attendant, la plupart des salariés sont toujours au SMIC en temps partiel imposé, et on leur fait comprendre qu'ils représentent une charge lourde pour l'entreprise. Ça se passe comme ça chez McDonald's...

Groupe Salvador-Seguí : Comment réagissent les autres organisations syndicales ?

Gilles : Face à de pareilles injustices, les syndicats à l'unisson devraient taper du poing sur la table et durcir le dialogue. Or, seuls les élus de l'Unsa nous soutiennent de longue date, les autres représentants syndicaux bénéficient d'un traitement de faveur bien particulier. La plupart de ces leaders sont en effet cadres au siège, avec voiture de fonction, et remplacent les salariés grévistes lorsque ceux-ci sont en pleine action revendicative ! Ces personnes conçoivent le syndicalisme comme un business. Certains ont même été missionnés pour nous rencontrer et nous faire des propositions indécentes, comme des sommes d'argent pour quitter l'entreprise. Il est clair qu'une intersyndicale sera difficile à construire avec ce genre de mentalités !

Groupe Salvador-Seguí : Le 15 avril a eu lieu une action dans les restaurants McDonald's de Denfert-Rochereau et KFC de Strasbourg Saint-Denis. Y avait-il eu d'autres actions de ce genre ?

Gilles : La journée du 15 avril 2015 s'inscrivait dans le cadre d'une mobilisation mondiale au sein de la restauration rapide. Nous nous sommes mobilisés sur Paris avec une centaine de personnes qui étaient présentes parmi lesquelles on retrouvait, hormis notre syndicat, la Fédération du Commerce CGT, l'US Commerce CGT de Paris, des représentants des structures locales parisiennes CGT, le syndicat restauration rapide 76, un délégué de Marseille, des syndicalistes de l'Unsa, des étudiants et des journalistes...
Les problématiques françaises connues dans cette branche se retrouvent en général au niveau européen et mondial. De plus en plus de salariés n'arrivent plus à digérer la recette fiscale de McDonald's et d'autres enseignes pour dénoncer cette politique de délocalisation des profits, ainsi que pour revendiquer les mêmes droits pour les salariés travaillant au sein d'une même enseigne. Aujourd'hui, deux restaurants McDonald's espacés d'une centaine de mètres peuvent pourtant traiter leurs salariés d'une façon totalement différente et injustifiée. Chez l'un on retrouvera un CE, un treizième mois, des primes trimestrielles, chez l'autre rien ! L'un sera géré en propre par McDonald's France, l'autre par un franchisé. On retrouve pourtant le même modèle économique, les mêmes tenues de travail, les mêmes sandwiches, les mêmes conditions de travail, les mêmes processus de formation... À la vue du client, il s'agit de deux restaurants identiques, alors pourquoi une telle différence de traitement ? Nous demandons par conséquent une charte sociale chez McDonald's et dans la restauration rapide afin que les gérants ne puissent pas déroger à certains acquis issus de longues luttes dans certains établissements.
Il n'y a pas eu beaucoup d'actions de ce genre dans le passé, ou bien alors des actions dépourvues de caractère contraignant pour l'employeur. À mon sens il n'est pas possible d'envisager uniquement des rassemblements purement symboliques.
Ce jour du 15 avril a donc été l'occasion pour nous d'expliquer notre démarche aux salariés et à chaque client voulant entrer dans le restaurant. Le choix du lieu de Denfert-Rochereau pour McDonald's n'est pas anodin. Le franchisé de renom a toujours été allergique au dialogue social avec notre organisation syndicale, nos syndiqués en ont payé les frais et ont perdu une grande partie de leur force mentale. En plus d'être payé au lance-pierres, s'il faut accepter de perdre toute dignité humaine, on peut se poser des questions sur la nature et la légalité de ce mode d'exploitation !

Groupe Salvador-Seguí : Y aura-t-il d'autres actions prévues ? Ne crains-tu pas une nouvelle la répression là où vous êtes allés ?

Gilles : Des futures actions sont nécessairement à prévoir pour que l'on voie une évolution face à tous les maux de la restauration rapide. L'évasion fiscale constitue le support de toutes les injustices subies de force par les travailleurs. Aujourd'hui une personne qui débarquerait dans la profession subira le temps partiel au lieu de le choisir, avec le salaire minimum. 24 heures par semaine, c'est 770 euros net par mois. Comment est-il possible de trouver un logement avec ce salaire ? De plus, le temps partiel va de pair avec les coupures, ce qui rend impossible en général la recherche d'un autre emploi ou la pratique d'un loisir. Le travail du dimanche n'est pas majoré, le travail de nuit est sous-valorisé, les jours fériés ne sont payés doubles que pour une partie des salariés. Le partage des richesses n'existe pas ! Pourtant de la richesse, il y en a, ceux qui la créent sont ceux à qui on va reprocher d'avoir pris une sauce ketchup en plus pour son repas d'employé. Ces travailleurs ne s'en rendent pas compte, mais ils créent chaque jour un peu plus de richesse que le jour précédent. Les enseignes de la restauration rapide et McDonald's en première ligne sont les spécialistes de l'organisation du travail taylorienne. Le travail est décomposé en tâches simples et répétitives, il s'agit d'un travail à la chaîne, chaque salarié a un rôle bien défini et répète les mêmes gestes durant toute sa séquence de travail. En parallèle, les nouvelles technologies remplacent les humains, nous avons vu une prolifération des bornes de commandes un peu partout. Cela a un intérêt pour la rationalisation du service à la clientèle, il est possible de faire autant voire plus de chiffre d'affaires avec moins de salariés.
Le jour où chaque travailleur aura conscience de sa situation, les choses changeront. C'est le sens de nos démarches, éveiller les consciences, alerter l'opinion publique. Toutes les bonnes volontés seront les bienvenues pour nos prochaines actions. Nous suivrons attentivement l'attitude des dirigeants du McDonald's Denfert-Rochereau envers les salariés.

Groupe Salvador-Seguí : Tu as récemment été désigné secrétaire général du syndicat CGT McDonald's Paris et Ile-de-France. Certains accusent ton prédécesseur d'avoir voulu faire de l'entrisme et du noyautage anarchistes dans le syndicat. Que réponds-tu à ces affirmations ? Quel bilan tires-tu de l'ancienne équipe en place ?

Gilles : Je suis surpris par ces accusations, cela retire aux syndiqués leur rôle principal dans les actions du syndicat. C'est pourtant cette façon de faire qui m'a poussé à m'investir davantage dans cette organisation syndicale, le fait de laisser le dernier mot à la base, le fait d'exercer une vraie démocratie participative. Il y a toujours des sensibilités différentes au sein d'une organisation, à mon sens c'est une chance et une richesse pour le syndicat, cela garantit le débat d'idées, et c'est ce qui s'est passé ces dernières années.
L'équipe sortante a poussé le syndicat vers le haut, malgré quelques errances dans la formation et dans la politique de syndicalisation. Notre syndicat existe depuis 1999 mais n'a pas su conserver sa mémoire, c'est peut-être le principal reproche que je ferais à mes prédécesseurs, mêmes si de gros efforts ont été faits dans ce sens dernièrement. Il est toutefois important de saluer le travail de l'ancien secrétaire, qui a su rester à l'écoute, respectueux des problématiques d'autrui et transparent dans sa gestion.

Groupe Salvador-Seguí : Veux-tu rajouter quelque chose pour finir ?

Gilles : Nous invitons chaque personne à soutenir nos luttes, chacun est plus ou moins concerné par les abus perpétrés par McDonald's ne serait-ce que par les accusations de fraude fiscale. Cette multinationale exploite non la force des travailleurs mais également toute la faiblesse de la classe politique française. Aides pour les emplois jeunes, CICE, baisse de la TVA... Que d'économies pour l'enseigne ! Les prix ont-ils baissé pour le client ? Les salaires ont-ils augmenté ? Bien sûr que non ! Il s'agit d'un combat très inégal dans la mesure où la gloutonnerie financière de McDonald's apparaît visuellement et sonorement dans la plupart des journaux papiers, à la télévision, à la radio... Il est difficilement concevable pour l'enseigne de payer un média pour qu'il détériore son image !
Nous nous faisons donc connaître par le bouche à oreilles, sur les réseaux sociaux grâce notamment à la page Facebook « Les Indignés de McDonald's ». De plus en plus de personnes nous soutiennent, nous avons des dizaines de milliers de vues pour certaines vidéos, et nous coordonnons des actions à partir de cet outil. Venez comme vous êtes !

Propos recueillis par Nathan du groupe Salvador-Segui de la FA