Macron : en avant pour le grand pas en arrière

mis en ligne le 11 février 2015
1765TravailArthur Groussier, vous connaissez ?
Arthur Groussier est né à Orléans en 1863, mais on s’en fout. Il était au Grand Orient de France, dont il en fut même le Grand Maître, mais on s’en fout aussi.
Ce qui nous intéresse plus, c’est sa fonction de secrétaire général de la Fédération nationale des ouvriers métallurgistes de 1890 à 1893. Ou plutôt son glissement du syndicalisme vers le socialisme, quand celui-ci pouvait sans faire rire s’autoqualifier de révolutionnaire. Arthur participe à la création de l’Alliance communiste révolutionnaire (ACR), qui rejoindra en 1897 les blanquistes du Comité révolutionnaire central (CRC), qui deviendra le Parti socialiste révolutionnaire (PSR). ACR et PSR fusionnent en 1901 pour former l’Unité socialiste révolutionnaire (USR), qui sera renommée en 1902 Parti socialiste de France (PS). Lequel…

Emmanuel Macron, vous connaissez ?
Emmanuel Macron est né à Amiens en 1977, mais on s’en fout. Il a pratiqué le piano, la boxe française et le foot, mais on s’en fout aussi. Ce qui nous intéresse plus, c’est son adhésion au PS en 1991. Ou plutôt son glissement du militantisme politique vers le monde de la finance en 2008. Il n’a pas supporté le refus de son investiture dans le Nord par les militants socialistes. Et puis, Sarkozy élu alors qu’il soutenait Ségolène, c’est trop injuste… Macron, socialiste con vaincu, rejoint alors la banque Rothschild & cie.

Revenons à Arthur Groussier
L’ancien syndicaliste, en 1893, est élu député du Xe arrondissement de Paris. Il le sera régulièrement. Au Palais-Bourbon, Arthur Goussier – ancien militant syndicaliste et toujours révolutionnaire – se bat et œuvre pour l’élaboration de nombreuses lois de progrès social : conventions collectives, accidents du travail, hygiène et sécurité, organisation syndicale, contrats de travail, conseil des prud’hommes. Sa grande réalisation est la mise en œuvre du Code du travail et de la prévoyance sociale en 1910. Ce premier Code du travail de 1910 sera complété par les conventions collectives reconnues par une première loi le 25 mars 1919. Les conventions collectives entraînent alors la fin des contrats de travail individuels à la tête de l’embauché.
Pour les conseils des prud’hommes, l’origine remonte à Philippe le Bel. Ils étaient initialement prévus pour régler les conflits entre artisans. C’est en 1806 qu’est promulgué une loi créant un conseil des prud’hommes à Lyon pour avaliser les tribunaux de conciliation entre fabricants de soie et canuts (les ouvriers lyonnais bossant dans la soierie). Mais dans ces conseils, les employeurs sont majoritaires. Le dialogue social a ses limites…
Les conseils des prud’hommes évolueront lentement pour aboutir en 1907 à une loi qui met en place une véritable juridiction sociale, reconnue compétente en matière de contentieux individuels du travail. Et, en 1908, une nouvelle loi – appelée « loi des prud’femmes » – rend les femmes éligibles.

Revenons à Emmanuel Macron
L’ancien militant socialiste, après s’être fait un joli magot dans la banque, rejoint sa famille politique socialiste avec plein d’idées antisociales dans son attaché-case. On le retrouve à l’Élysée où il occupe la fonction de secrétaire général adjoint. Il ouvre son attaché-case et en sort deux de ses jolis projets : le pacte de responsabilité (pour les entreprises moins de charges sur le travail, moins de contraintes sur leurs activités et, en même temps, une contrepartie, plus d’embauches et plus de dialogue social) et le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (équivalent à 4 % de la masse salariale de l’entreprise hors salaires supérieurs à 2,5 fois le smic afin d’investir, embaucher ou conquérir de nouveaux marchés). Cadeaux pour les entreprises, lettres mortes pour l’emploi et la relance.
Mais le golden boy n’en reste pas là. Il est nommé ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique par le ci-devant socialiste Manuel Valls. Et nous arrivons à la loi Macron actuellement en discussion à l’Assemblée nationale. Pour les salariés, en avant pour le grand pas en arrière…

Travailler le dimanche
Dans son projet de loi, Macron prévoit l’ouverture des temples de la consommation le dimanche. Pas tous les dimanches, commençons raisonnablement, allez, une douzaine au maximum. Et puis, pas question de travaux forcés, le volontariat… D’après les textes actuellement en vigueur : seuls les salariés volontaires ayant donné leur accord par écrit à leur employeur peuvent travailler le dimanche sur le fondement d’une autorisation donnée en application de l’article L. 3132-20 du Code du travail. Un patron ne peut refuser d’embaucher une personne refusant de travailler le dimanche ni le punir avec des mesures discriminatoires au boulot. Refuser de travailler le dimanche ne sera ni une faute ni un motif de licenciement.
Notre petit génie de l’économie libérale connaît-il vraiment le monde du travail, les liens de subordination entre patrons et salariés, les fins de mois difficiles, la précarité dans l’emploi ? Des salariés « accepteront » non pas pour prendre l’ascenseur social jusqu’au duplex avec vue sur un avenir qui chante. Non pas pour sauver l’économie française ou ce quinquennat fossoyeur des prétentions socialistes. Des salariés seront contraints d’accepter simplement pour survivre. En ces temps de crise économique, menacés de passer par la case Pôle emploi, des salariés qui ne connaissent que le premier échelon de l’échelle salariale « accepteront » par crainte de déplaire au patron, pour une promesse de régularisation, pour un hypothétique bonus ou tout simplement pour boucler la fin de mois.
Jusqu’à présent des compensations financières accompagnaient généralement le travail de nuit, les dimanches ou les jours fériés. Compensations financières pour un travail « hors norme ». On peut douter de leur pérennité : lorsque travailler le dimanche sera devenu banal, la légitimité d’une compensation sera remise en question. On le voit déjà dans la restauration, où travailler le dimanche est normal, il n’existe aucune compensation. Pour les curés ? On s’en fout… En fait, le rêve secret du monde des profiteurs du travail des autres est tout simple : dans un premier temps faire du dimanche un jour travaillé comme les autres, ensuite, on pensera aux jours fériés. Et ne pas oublier les congés payés…

Sécuriser la délinquance patronale
Face à cette attaque en règle des conditions de travail, du rapport employeur-employé ; la logique voudrait que les travailleurs retrouvent le réflexe syndical. Cette embellie militante impliquerait un réel travail des syndicats et de leurs représentants. Dans les boîtes, planait pour les patrons le risque qu’une plainte soit déposée pour délit d’entrave à l’exercice du droit syndical. Article L. 2146-1 du Code du travail : le fait de porter atteinte à la mise en place et au bon déroulement de la mission des représentants du personnel constitue un délit d’entrave. Pour que le délit soit constitué, il faut la réunion de l’élément matériel (acte positif ou omission constituant une méconnaissance de dispositions légales relatives à la représentation du personnel, panneau syndical refusé…) et de l’élément moral (caractère intentionnel). Les sanctions pour une personne physique sont d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 3 750 euros. Avec passage au tribunal correctionnel à l’appui… Ça pique ! Que prévoit la loi Macron ? Le délit d’entrave à l’exercice du droit syndical ne sera plus passible que d’une « sanction financière ». Le patronat pourra alors mettre au pas les syndicats dans leurs boîtes, entraînant la casse du syndicalisme en France, sans s’exposer à de gros risques judiciaires.

Casser la justice du travail
Actuellement, les prud’hommes sont les seules instances qui permettent au salarié, lors d’un litige professionnel, d’avoir une représentation syndicale pour se défendre face au patronat. Le hic, dans les conseils de prud’hommes, c’est un nombre pair de conseillers : moitié de conseillers « employés » (2) et moitié de conseillers « employeurs » (2). Tous élus lors d’élections. Il n’était pas nécessaire de faire partie d’une organisation syndicale ou patronale pour se présenter… Enfin jusqu’au 24 novembre 2014 lorsque l’Assemblée nationale adopta le projet de loi Macron prévoyant la désignation des conseillers prud’homaux par les organisations syndicales et patronales au prorata de leurs audiences respectives. Exit les travailleurs libres de toute pression…
Revenons au hic, aux lucioles tombées dans le potage : le nombre pair de conseillers implique l’impossibilité fréquente de trancher. Employés et employeurs doivent demander au juge du tribunal d’instance le plus proche de les départager. Ce magistrat est désigné sous l’appellation de juge départiteur. C’est à ce moment qu’arrive Macron et son attaché-case à casser les acquis sociaux.
Plus que deux conseillers, suppression possible du passage par la case bureau de jugement (lieu où les conseillers tentaient de régler les litiges sans appel au juge départiteur), donc augmentation du pouvoir des juges départiteurs professionnels.
Dix contre un que c’est la délinquance patronale qui va y gagner… Macron le dit : « Si on reste dans un critère classique de lutte de classes, et donc de division de la collectivité humaine dans l’entreprise, alors on continuera à creuser l’impasse dans laquelle on se trouve. » La droite applaudit clandestinement. Alors le moyen le plus sûr pour ce sniper (et pour ce gouvernement qui le commandite) de faire oublier la lutte des classes, c’est juste d’en gommer tous les acquis en revenant sur deux cents ans de luttes de la Sociale.
– 2 mars 1848 : décret du 2 mars limitant la journée de travail des adultes à dix heures à Paris et à onze en province.
– 17 avril 1919 : loi instaurant la semaine de 48 heures et la journée de 8 heures.
– 13 juin 1998 et 19 janvier 2000 : loi instituant la semaine de 35 heures. À gommer ?
– 1906 : repos compensateur de 24 heures hebdomadaire. Aux poubelles de l’histoire ?
– 25 mai 1864 : loi établissant le droit de grève.
– 1884 : droit syndical.
– 1887 : création de la première bourse du travail de France à Paris.
– 1936 : délégués du personnel. À oublier ?
– 1910 : retraites à 65 ans sous un ministère Briand, ancien socialiste devenu libéral.
– 1983 : retraites à 60 ans sous Mitterrand, président étiqueté socialiste
– 2015 : retraites à quel âge avec ce gouvernement faussement étiqueté socialiste, mais clairement libéral ?
L’année 1936, c’était le Front populaire. Mais c’est surtout la pression des ouvriers dans les usines occupées, les rues envahies qui ont imposé des avancées conséquentes : congés payés de quinze jours, convention collective, semaine de quarante heures. Et ne nous leurrons pas, les autres acquis devenus lois parce que votés ne sont pas sortis des bancs de l’Assemblée nationale mais ont été imposés dans les rues, les usines, les ateliers, les grèves.

Choisir son camp
Nous, nous sommes du camp de ceux qui se sont battus pour obtenir ces acquis sociaux et, aujourd’hui, c’est à nous de nous battre pour les conserver. Il n’y a rien à attendre d’un État, si ce n’est sa trahison au profit de la finance. La loi Macron n’est qu’un bubon de la peste capitaliste. Ce grand ami des banquiers a beau qualifier la lutte des classes d’obsolète, le camp d’en face, lui, a décidé de la mener cette lutte. La meilleure des défenses étant l’attaque, il nous faut passer à l’offensive. Offensive des esprits, des idées. Nous devons nous organiser et organiser nos luttes sur des bases autonomes sourdes aux sirènes des partis. Nous devons faire changer l’optimisme de camp. La lutte est là, maintenant. Passons à l’offensive pour retrouver tous les acquis perdus. Première étape… Ensuite, nous imposerons d’autres changements. Non, nous gérerons nous-mêmes. Nous voulons tout maintenant et le reste, nous le prendrons.

Bernard Perret
Groupe d’Aubenas de la Fédération anarchiste