Chronique du critique influent

mis en ligne le 8 janvier 2015
Le Monde libertaire a déjà rendu compte de Mastatal 1, ouvrage de Malcom Menzies, publié aux Éditions Plein Chant.
Aujourd’hui, auteur et éditeur récidivent avec Deux lueurs de temps (titre emprunté à un vers de Thomas Carlile). Le sous-titre : Le poète et le bandit, renvoie explicitement à une chanson du chanteur « folk » italien Francesco de Gregorio : Le Champion et le bandit.
Le champion, c’est le coureur cycliste Girardengo ; le bandit, c’est Santo Decimo Pollastro, « qui passait pour le plus redoutable bandit italien de son temps ». Tous deux sont nés à Novi Ligure, au nord de Gênes ; tous deux sont adeptes de la bicyclette ; pour le reste, au lecteur de découvrir la suite…
Le poète, c’est Renzo Novatore (1890-1922), anarchiste individualiste. Quel rapport entre ces trois personnes ? C’est ce que va expliquer le narrateur, qui se rend en Italie pour retrouver les lieux qu’elles ont marqués. On pense souvent, au fil du récit, à certains récits de Didier Daeninckx où le narrateur – ou un personnage – tente de gratter les lieux-palimpsestes pour y retrouver trace d’un passé, le plus souvent ouvrier. Mais dans Deux lueurs de temps, difficile de retrouver le passé : « J’enrage. Il n’y a pas que le temps qui détruit. L’activité des hommes fait disparaître les lieux les plus chargés de mémoires, les lieux uniques, liés à un fait, un geste, un événement. Au nom du progrès, des réalités économiques – industrie et commerce – de l’argent, en somme… »
Le lecteur se fera sa propre opinion sur ce poète et ce bandit ; nul n’est obligé d’avoir une empathie particulière pour Novatore, dont l’individualisme s’inspire de Nietszche, de Stirner et de Palente (le « Cripure » du Sang noir de Louis Guilloux).
Par contre, le livre restitue une évocation saisissante de l’Italie du début du XXe siècle. Et c’est tout le mérite de l’ouvrage que de remettre en perspective les événements ; une Première Guerre mondiale meurtrière (Caporetto), une crise économique, une opposition bourgeoisie/prolétariat exacerbée, la grève avec occupation d’usines (une première ! Ah, juin 1936 en France), une tentative d’autogestion, foulée aux pieds par un « accord » scélérat, et puis le petit instituteur « socialiste », disciple de Sorel, qui monte, qui monte… Mussolini.
N’allez pas croire, pour autant, à un manuel d’histoire desséché et poussiéreux. Deux lueurs de temps est à lire qui à la fois restitue le passé et rend compte de l’émoi présent du narrateur. Et c’est tout l’honneur des grands petits éditeurs que de nous proposer des textes de qualité qui informent, interpellent et forcent à se poser des questions.

J.-D. Gautel



1. Article d' Adam Roche : « Une colonie individualiste », Le Monde libertaire n° 1585.