Mathématiques et anarchie

mis en ligne le 18 décembre 2014
1759GrothendieckLes médias ont parlé d’Alexandre Grothendieck, génie des mathématiques né en 1928 et décédé le 13 novembre 2014. Peu ont évoqué ses origines anarchistes, ses engagements militants, ses échanges tumultueux avec les scientifiques. L’ayant connu dans les années 1970, voici quelques précisions sur la vie d’un homme assez extraordinaire.
Son père, Alexander Shapiro, anarchiste russe, participe aux révolutions de 1905 et 1917. Fuyant la répression bolchevique, il rencontre une anarchiste allemande, Hanka Grothendieck. En 1933, ils partent pour l’Espagne et vivent la révolution espagnole. Alexandre les rejoint en France en 1939. Son père, emprisonné dans plusieurs camps, disparaît à Auschwitz. Au camp de Rieucros avec sa mère, Alexandre peut aller à l’école voisine de Mende. Il poursuit ses études au Collège cévenol à Chambon-sur-Lignon, puis à Montpellier.
À Paris, à 20 ans, son génie est repéré par de grands mathématiciens, mais, en 1966, il refuse la médaille Fields, car elle est distribuée en URSS. En 1970, ses convictions anti-militaristes et anarchistes le font démissionner de l’Institut des hautes études scientifiques, qui bénéficie d’un financement du ministère de la Défense.
Il fonde alors Survivre et vivre dont le bulletin, 15 000 exemplaires, parle d’antimilitarisme, d’écologie radicale et libertaire, de contestation du « scientisme ». J’ai participé avec lui à une coopérative de légumes biologiques et à l’achat de matériel d’impression pour le bulletin, par l’intermédiaire d’Antonio, compagnon de la CNT espagnole.
En 1971, Grothendieck alerte sur le « problème insoluble de la contamination radioactive et du stockage des déchets » et, les 10 et 11 juillet, il participe avec 15 000 personnes à la première grande manifestation antinucléaire en France devant la centrale de Bugey, que nous avions organisée à quelques-uns, dont Pierre Fournier, de Charlie hebdo. En avril 1972, Grothendieck, intervenant au Centre d’études nucléaires de Saclay sur le thème : « Allons-nous continuer la recherche scientifique ? », en profite pour révéler l’existence de fûts radioactifs fissurés sur le site.
Plus tard, il part vivre dans l’Hérault, enseigne à l’université de Montpellier, puis s’installe en Ariège où il mènera une vie d’ermite.
Quelqu’un dira après sa mort : « Grothendieck n’était pas un ex de Normale Sup, juste un ancien de Rieucros, il est redevenu une poussière de l’histoire. »

Élan noir