L’école des barricades

mis en ligne le 2 octobre 2014
L’École des barricades, vingt-cinq textes pour une autre école, 1789-2014, c’est le titre de l’anthologie que nous a concoctée Grégory Chambat pour cette rentrée des classes où une ministre chasse l’autre sans pour autant remettre en cause la grande machine à lessiver les cerveaux et à enfermer les corps. Il s’agit donc d’une anthologie qui ne repose pas seulement sur le savoir théorique de l’auteur, mais sur ses vingt années d’expérience d’enseignement en collège, son implication au sein de la Fédération CNT de l’éducation et de son engagement dans la revue N’Autre école qui œuvre pour une révolution sociale, éducative et pédagogique. Autant dire que les textes que Greg a retenus, aux prix de choix cornéliens (programme oblige), résultent d’une réflexion qui vise à ouvrir notre champ de réflexions sur la question centrale de l’éducation et de ses liens indéfectibles avec l’émancipation pour les uns, l’aliénation et le contrôle social pour les autres. Les textes publiés ici sont rapidement présentés ainsi que leurs auteurs, tout cela calibré à dix mille signes (et assorti d’une petite bibliographie thématique en fin de volume) afin d’en faciliter la découverte et la lecture. Le tout avec une écriture agréable qui pousse à toujours lire le chapitre suivant. Présentation ramassée et textes brefs, autant dire pédagogiques, qui de fait ne sont que des incitations, une invitation, à continuer et approfondir avec d’autres supports. Textes concis qui, tous, sont issus de la même volonté : « Réaliser l’instruction par la révolution et la révolution par l’instruction », comme l’écrivait Maurice Dommanget. Tous sauf un qui, en fin de volume, concerne les réac-puplicains ; il rappelle leurs thèses les plus conservatrices et leur haine de l’égalité en général et de l’égalité des intelligences et de tous devant le savoir en particulier. Les extraits proposés couvrent une large période, des conceptions de Fourier – « inventeur » selon plusieurs auteurs de la pédagogie libertaire –, reprises par Proudhon : l’école-atelier et l’enseignement intégral ou l’éducation conjointe de la main et du cerveau qui vise l’épanouissement des individus ; à celles contemporaines de Noëlle Smet qui nous rappelle « qu’une pratique pédagogique va toujours de pair avec une vision politique » (page 193) explicite ou non, ou encore celle de Charlotte Nordmann, qui souligne opportunément le lien entre l’école et le marché et dont la fonction est avant tout de nous faire accepter et « reconnaître l’ordre social [et de nous] y soumettre » (page 203). Entre ces deux pôles, un extrait de l’œuvre de « l’ignorant » Jacotot et son ambition de « mettre l’élève en position d’apprendre » (page 24), de l’incontournable Pelloutier à la recherche de la science de son malheur, de Ferrer et de son école moderne et d’Albert Thierry qui souhaitait tirer toute sa pédagogie de ses élèves (page 82). Mais aussi extraits de Korczak et son destin tragique à la fin de sa petite république éducative et du mouvement Freinet pour lequel « sans la révolution à l’école, la révolution politique et économique ne sera qu’éphémère » (page 113). Et de quelques autres évocations encore qui favorisent la découverte de cette pédagogie des barricades souvent fortement teintée de pédagogie libertaire. Hormis ce survol des grands classiques des pédagogies de l’émancipation et de ses militants, l’auteur, grâce à quelques pas de côté, nous permet de (re)découvrir l’ambition pédagogique de la Commune de Paris ainsi que le rôle des instituteurs syndicalistes de L’École émancipée qui affirmaient que seul « l’instituteur, homme libre, pourrait librement instruire et former des hommes libres » (page 76) ; voire, de nous sensibiliser à la « pédagogie sociale » d’Helena Radlinska/Laurent Ott. Sans oublier la plus récente pédagogie institutionnelle et ses conseils (au sens de soviet) d’élèves dont l’un des animateurs affirme droit dans ses bottes : « En classe, il n’y a pas de problèmes de discipline, il n’y a que des problèmes d’organisation » (page 140). Plus surprenant et beaucoup moins connue, c’est l’un des moments fort de l’ouvrage, c’est la découverte de l’intérêt constant de Simone Weil, la combattante de la colonne Durruti, pour l’éducation du prolétariat fondée, selon Gregory Chambat, sur « l’échange réciproque de savoir » (page 132) et sur « l’union du travail intellectuel et du travail manuel » (page 136) dans la tradition proudhonienne. Enfin, après avoir évoqué l’incontournable Lycée autogéré de Paris et son frère (presque) jumeau, le lycée expérimental de Saint-Nazaire, l’auteur fait état d’expérimentations pédagogiques barricadières sous d’autres latitudes qui ont pris quelquefois un caractère de masse comme les EPK (Ecole populaire kanak) dans les années 1980 qui touchèrent entre 6 et 15 % des enfants (page 161) avant d’être dénoncées comme subversives par les dignitaires du FLNKS. Ou encore, depuis 1994, les très vivantes et très vivaces écoles zapatistes fréquentées par plus de 15 000 mille enfants qui s’y éduquent et qui, comme le clame Manuel (11 ans) ici, « ne se laissent pas faire », parce qu’ils sont des zapatistes (page 176). En bref, un livre riche qui permet pour les uns de revoir leurs classiques et pour d’autres, parfois les mêmes, de découvrir de nouvelles terres où se sont élevées et s’érigent encore les barricades de la liberté.