Des hommes et des femmes dans la lutte révolutionnaire

mis en ligne le 26 juin 2014
Hors de notre milieu, camarade Vasquez – et je m’adresse au camarade Vasquez parce que dans son article « Pour l’élévation de la femme » il résume sûrement la pensée de nombre de camarades – hors de nos milieux donc, il est très compréhensible, très excusable et même si l’on veut très humain que, tout comme le bourgeois défend sa position et son privilège de commandement, l’homme désire conserver son hégémonie et se sente satisfait d’avoir un esclave. Mais moi, je ne parlais pas pour tous les hommes, camarade, moi je parlais pour les anarchistes exclusivement, pour l’homme conscient, pour celui qui, ennemi de toutes les tyrannies, est obligé, s’il veut être conséquent, d’extirper de lui, dès qu’il le sent poindre, tout reste de despotisme. Ce qui est très humain c’est cela, c’est la raison – l’attribut véritablement humain – par rapport au reste qu’est l’instinct, l’infrahumain.
C’est pour cela que l’anarchiste – j’ai dit l’anarchiste, remarque bien – qui demande à la femme sa collaboration pour la tâche de subversion sociale doit commencer par reconnaître en elle son égal, avec toutes les prérogatives de l’individualité. Le contraire sera « très humain », mais pas anarchiste.
Et c’est pour cela précisément que je crois que ce n’est pas lui qui est appelé à établir les fonctions, aussi élevées soient-elles, de la femme dans la société. Ce qui est anarchiste, je le répète, c’est de laisser la femme agir en usant de sa liberté, sans tutelle ni coercition, elle inclinera vers ce que sa nature et la nature de ses facultés lui dicteront.
Et maintenant une question, camarade Vasquez. Comment vous est-il venu à l’esprit de comparer la situation de la femme par rapport à l’homme avec celle du salarié par rapport au bourgeois ?
Tu oublies que les intérêts du patron et ceux de l’ouvrier sont opposés, incompatibles, alors que ceux de l’homme et de la femme – qui sont les intérêts de l’humanité, ceux de l’espèce – sont complémentaires, ou, pour dire mieux, ne font qu’un. Des intérêts de sexe, incompatibles en tout point avec la conception anarchiste de la vie, peuvent seulement exister dans l’absurde système actuel.
Tu conçois toi, un bourgeois en train de dire qu’il faut émanciper les travailleurs ? Donc, si tu trouves qu’il est logique que, comme le bourgeois avec le salarié, l’anarchiste en tant qu’homme garde la femme enchaînée, il est absurde de l’entendre crier qu’il faut émanciper la femme. Et s’il le crie, comment ne pas lui dire : « Commence toi-même » ?
Car il y a déjà longtemps que la femme commença la tâche d’émancipation. En ce sens on ne peut rien lui reprocher. Que l’on compare le monde féminin d’il y a cinquante ans avec celui d’aujourd’hui et que l’on me dise s’il n’a pas avancé. Mais c’est que maintenant il ne s’agit plus de son émancipation, mais de sa contribution à l’émancipation de l’humanité. Et si tu l’invites à établir au préalable une lutte des sexes – parce que tu trouves très naturel que l’homme, bien qu’il soit anarchiste, veuille avoir une esclave – cela cadre mal avec la nécessité d’un travail commun. Comment diras-tu à la compagne : « Aide-moi à porter ce poids » quand elle n’est même pas maîtresse de ses pieds et de ses mains ?
La lutte des sexes ne convient pas aux prolétaires, mais tout au contraire il leur faut établir l’interpénétration des intérêts entre hommes et femmes. Et cela non pas par caprice, mais parce que le monde ne trouvera son équilibre que lorsqu’il sera organisé et régi par eux deux. Car étant en effet différentes, leurs qualités se complètent et forment un tout harmonique, car l’égoïsme de l’un s’accorde avec l’abnégation de l’autre et, à la nature impétueuse et violente de l’un correspondent la douceur et la pondération de l’autre, à la gravité de l’homme, la subtilité de la femme. Et il n’y aura pas d’harmonie dans la vie future si dans sa composition n’entraient proportionnellement tous ces éléments.
Comprends-tu maintenant qu’il ne s’agit pas tant de l’émancipation de la femme que de l’édification du futur, et que les anarchistes, s’ils sont sincères et s’ils ne sont pas venus à l’anarchisme par pur sport, sont obligés de suivre la voie que j’indique ?
Et ça, pour sûr que c’est mettre à profit le temps, camarade Vasquez, parce que pour réaliser une œuvre en commun, ce qui est important ce n’est pas de se disputer, mais de se mettre d’accord.
Et, mon ami, il ne faut rendre responsable l’esclave de son esclavage que lorsque celui-ci est accepté de gré et en pleine connaissance, mais pas quand il est imposé par la violence comme le cas de la femme.

Lucia Sanchez Saornil