Vers la convergence des luttes

mis en ligne le 18 juin 2014
1745SpectacleCe que nous défendons, nous le défendons pour tous. Et si ce message n’a pas toujours été clairement entendu, aujourd’hui, il est impératif que ce soit le leitmotiv de nos actions pour engendrer un réel mouvement de convergence des luttes.
Pour mieux comprendre, il faut faire un petit saut dans le passé et revenir à la création de l’intermittence, qui a été mise en place dans une période de plein-emploi pour répondre à des conditions de travail discontinues.
Mais, aujourd’hui, les temps ont changé et la vapeur s’est définitivement inversée, les CDD sont devenus légion à l’encontre des CDI qui se font de plus en plus rares.
Et voilà comment nous nous retrouvons, intermittents du spectacle, au cœur d’une des réponses possibles à la précarité grandissante. D’où cet entêtement du Medef à vouloir « nous taper dessus » 1. Car, faut-il le répéter, le régime des intermittents du spectacle n’est aucunement privilégié par rapport au régime général et ne coûte pas plus cher en indemnisation que pour les autres chômeurs 2.
Alors pourquoi tous les travailleurs précarisés ne réclameraient-ils pas, eux aussi, une intermittence adaptée 3 ?
Comme le souligne Corsani et Lazzarato 4 « la Coordination des intermittents et précaires n’a pas pour ambition de défendre les acquis sociaux des Trente Glorieuses, mais entend défendre de nouveaux droits sociaux associés à la mobilité et à la flexibilité de l’emploi. […] En revendiquant de nouveaux droits sociaux non seulement pour les intermittents mais aussi pour tous les travailleurs à l’emploi discontinu, à la rémunération variable et aux employeurs multiples, ce mouvement a ouvert une bataille politique sur le front de la précarisation et de la paupérisation qui touchent désormais une partie de plus en plus importante de la population ». Et, d’ailleurs, pour être bien certain que ce droit à l’insurrection ne soit pas utilisé, il y a déjà eu la suppression des règles d’indemnisation spécifiques au régime saisonnier, mais cette fois l’accord du 22 mars prévoit tout simplement de vider de son contenu l’annexe 4 qui concerne intérimaires, vacataires (y compris de l’éducation nationale), extras de l’hôtellerie, enquêteurs, chauffeurs, hôtesses, femmes de chambre, plongeurs, cuisiniers…
Entraînant automatiquement une baisse de 50 euros à 300 euros de pouvoir d’achat, tout en privilégiant ceux qui passent par les agences d’intérim !
Si la convergence des luttes est une priorité aujourd’hui, c’est aussi parce que le discours officieux/officiel nous demande une chose simple, c’est de fermer notre gueule pour tout ce qui concerne les autres secteurs d’activité précaires, en échange de quoi, les annexes 8 et 10 qui concernent les artistes et techniciens seront sauvées du naufrage annoncé. À croire qu’ils ignorent que nos destins sont liés à la précarité puisque seulement 43 % d’entre nous arrivent à déclarer le nombre d’heures suffisant pour accéder à l’intermittence et quand bien même on y arrive…
Alors, dans ce pays où seulement six chômeurs sur dix sont indemnisés et avec neuf millions de pauvres, les plus machiavéliques d’entre nous pourraient voir dans cette précarité une ressource inestimable. Et il semblerait que ce soit l’idée même du Medef, détruire le maximum d’acquis (on devrait dire de « conquis ») sociaux de l’assurance chômage au détriment des plus fragiles pour permettre, ainsi, de faire des économies en arrêtant d’indemniser une partie des chômeurs. Comme le résume Samuel Churin, « ce sont les exclus du régime qui financent les salariés à hauts revenus, il y a un transfert de fonds des plus pauvres vers les plus riches ».
Pour rappel, il faut savoir que cet accord a été signé par les partenaires sociaux, après des entretiens en tête à tête, dans les locaux du Medef. Sans aucune prise en compte de la CIP qui, depuis 2003, travaille sur des propositions plus justes et moins coûteuses. Tous ont signé, hormis la CGT ; quant à FO, ils ont pactisé, après avoir longtemps défendu nos propositions, dans le seul but arriviste de reprendre la main sur l’assurance chômage.
Aujourd’hui, nous attendons fermement le non-agrément de cet accord par le ministre Rebsamen (qui nous promet le contraire), lui aussi un soutien sans failles à notre égard, en cette époque pas si lointaine où il n’était que maire de Dijon…
À l’heure où j’écris, grève et préavis gagnent du terrain, de Montpellier à Loos en Gohelle, en passant par Toulouse, Angers, Guises, Avignon, Boulogne-sur-Mer, Nice, Chalons-en-Champagne, Paris.
On nous envoie un médiateur qui s’est déjà prononcé pour l’agrément et qui, de toute façon, n’est là que pour discuter la question de l’intermittence, autant dire qu’on s’en bat l’œil de ce cher Jean-Patrick Gille, nous ne sommes plus à l’heure des discutions et rejetons l’accord dans son ensemble.
Pendant ce temps, le Medef menace de quitter l’Unedic, une majorité de députés du PS ont envoyé des lettres pour demander à Rebsamen de ne pas signer, Gérard Filoche appelle à renverser le gouvernement de Valls. Et on lutte avec joie, car ce que nous défendons, nous le défendons pour tous et avec tristesse, puisque pour beaucoup d’entre nous ces grèves sont des suicides. Que vive la convergence des luttes.

Camille
13 juin 2014 à Lille







1. Voir la vidéo de Mathieu Grégoire, maître de conférence en sociologie à l’université de Picardie, dans l’extrait de la conférence « Intermittents : enjeux historiques des luttes ».
2. Voir le compte rendu de la commission de la culture, de l’éducation et de communication du 4 juin 2014 au Sénat.
3. Ce qui est déjà le cas, dans des domaines comme la restauration.
4. Intermittents et précaires de Antonella Corsani et Maurizio Lazzarato (2008, éditions Amsterdam) disponible en pdf : mediapart.fr/files/Intermittent-Ultimate-interior-file.pdf.