Van Gogh-Antonin Artaud : les deux feux follets de la création

mis en ligne le 22 mai 2014
Le musée d’Orsay à Paris se fend d’une exposition sulfureuse : Van Gogh-Artaud, le suicidé de la société. Van Gogh-Artaud, deux impatients de vivre, fous de talent, qui éclatent leur mal de vivre sur les cimaises d’Orsay. Les deux maudits talentueux sont mis très justement en adéquation à cause de leur expérience psychiatrique. Mal aimés, incompris de la société d’alors, affreux « théâtre de l’absurde » ! Leurs maux de tête insolubles, leurs désirs d’expression effrénés tordent leur être, sans repos, il faut qu’ils projettent au-dehors leur force créative et ainsi ils donnent un éclairage nouveau sur la nature humaine.
Artaud, martyrisé par les électrochocs d’un psychiatre de Rodez, est scandalisé par l’article d’un thérapeute à la suite de l’expo Van Gogh de 1947. Il écrit presque d’une traite Van Gogh ou le suicidé de la société dans lequel il se met en parallèle avec le peintre hollandais. Texte halluciné et hallucinant ! Réquisitoire criant de visions lucides, inouï, saccadé, pétri de vérité sur le talent de Van Gogh, ce Christ jaune qui projette ses cyprès torturés comme des accroche-cœurs à la recherche du bonheur et d’une nouvelle alchimie picturale. Seul contre tous, et malgré l’aide indéfectible de son frère Théo, il est en butte à une indifférence meurtrière. Il ne vend rien, il ne plaît pas. Ce Don Quichotte du pinceau ne se croit-il pas au Japon en Arles ? Toujours ces fameuses lois du marché… et maintenant ses tableaux servent de garantie parfois à des compagnies d’assurances… La marchandisation de sa candeur éblouissante est insupportable ! Mais s’indigner maintenant semble une lapalissade convenue…
Je dégueule tout de même toutes ces larmes de crocodile que l’on verse sur les artistes maudits… On vend leur malheur. À l’époque beaucoup se riaient de Van Gogh et Toulouse-Lautrec, son ami, dut provoquer en duel un de ces détracteurs pour le faire taire. Vincent voulait créer une colonie de peintres dans le Midi, seul Gauguin vint, mais l’expérience capote, trop de divergences et d’incompatibilités. Ils auront au moins essayé une belle aventure qui se termine par l’oreille coupée de Van Gogh, tristement célèbre.
Interné, le peintre roux reçoit tout de même la visite de Signac – ce pointilliste libertaire l’avait influencé durant une période. Vincent était un infatigable épistolier et un grand lecteur, il ne faut pas oublier qu’il parlait plusieurs langues… Las de vivre et d’être une charge pour son frère Théo, celui qui signait humblement Vincent se suicide à Auvers-sur-Oise, non sans avoir peint soixante-dix toiles en soixante-dix jours, conscient de la force de son talent et sachant finalement au fond de lui-même qu’il serait reconnu un jour comme un grand peintre.
Rien d’étonnant à ce qu’un poète comme Antonin Artaud ait capté la veine de son génie. Artaud, accoucheur d’insupportables vérités, s’immerge dans l’œuvre de Van Gogh, il décrit son style incroyable et ses larges aplats éblouissants de couleur qui structurent ses toiles. Artaud, cet « anarchiste couronné », est aussi acteur (inoubliable Marat dans le Napoléon d’Abel Gance), dramaturge, dessinateur et écrivain. Un voyageur aussi, il avait su ressentir les forces telluriques et révolutionnaires de la terre mexicaine, et les Indiens Tarahumaras, « les hommes aux pieds légers », ne s’y étaient pas trompés et l’avaient initié au culte du peyotl. Infatigable, il repart pour l’Irlande, contrée magique et mystérieuse, mais ses sens s’altèrent finalement, son « pèse nerfs » se détraque ; ivre de vérités spirituelles, il s’abîme dans un délire hallucinatoire et tombe dans les griffes des psychiatres… Aidé par ses amis surréalistes, il terminera à la clinique d’Ivry, mais libre d’aller et venir comme bon lui semble, donnant parfois d’impressionnantes conférences avec sa voix tragiquement prophétique.
L’exposition se compose de quarante tableaux, de dessins et de lettres de Van Gogh. Une bonne rétrospective de sa peinture « armée de fièvre et de bonne santé », comme la qualifiait Artaud, et confrontée à l’œuvre graphique du poète-dessinateur et à son commentaire (Van Gogh ou le suicidé de la société). Certes, Van Gogh s’étourdissait d’absinthe, Artaud de palfium. Et alors, « il faut savoir choisir sa drogue », disait Baudelaire ! Allez voir ces deux écorchés de la vie. Le désordre de leur esprit est une démarche extrême de voyants découvrant un pan de la vraie vie et recherchant certaines révélations, éclairés par les soleils noirs de la mélancolie. Jusqu’au 6 juillet.



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


cathy tiou

le 8 juin 2014
beau et amusant van gogh!