« Qui veut adorer Dieu devra renoncer à sa liberté »

mis en ligne le 24 avril 2014
À moins de vouloir l’esclavage, nous ne pouvons ni ne devons faire la moindre concession à la théologie, car, dans cet alphabet mystique et rigoureusement conséquent, qui commence par A devra fatalement arriver à Z, et qui veut adorer Dieu devra renoncer à sa liberté et à sa dignité d’homme : Dieu est, donc l’homme est esclave. L’homme est intelligent, juste, libre, donc Dieu n’existe pas. Nous défions qui que ce soit de sortir de ce cercle, et maintenant qu’on choisisse. D’ailleurs, l’histoire nous démontre que les prêtres de toutes les religions, moins ceux des églises persécutées, ont été les alliés de la tyrannie. Et ces derniers même, tout en combattant et en maudissant les pouvoirs qui les opprimaient, ne disciplinaient-ils pas en même temps leurs propres croyants, et par là même n’ont-ils pas toujours préparé les éléments d’une tyrannie nouvelle ? L’esclavage intellectuel, de quelque nature qu’il soit, aura toujours pour conséquence naturelle l’esclavage politique et social.
Aujourd’hui, le christianisme sous toutes ses formes différentes et, avec lui, la métaphysique doctrinaire et déiste issue de lui et qui n’est au fond qu’une théologie masquée, font sans aucun doute le plus formidable obstacle à l’émancipation de la société ; et pour preuve, c’est que les gouvernements, tous les hommes d’État de l’Europe qui ne sont, eux, ni métaphysiciens, ni théologiens, ni déistes, et qui, dans le fond de leur cœur, ne croient ni en Dieu ni au Diable, protègent avec passion, avec acharnement la métaphysique aussi bien que la religion, quelle que religion que ce soit, pourvu qu’elle enseigne, comme toutes le font du reste, la patience, la résignation, la soumission. Cet acharnement qu’ils mettent à les défendre nous prouve combien il est pour nous nécessaire de les combattre et de les renverser. Est-il besoin de vous rappeler, Messieurs, jusqu’à quel point les influences religieuses démoralisent et corrompent les peuples ? Elles tuent en eux la raison, le principal instrument de l’émancipation humaine, et les réduit à l’imbécillité, fondement principal de tout esclavage, en remplissant leur esprit de divines absurdités. Elles tuent en eux l’énergie du travail, qui est leur gloire et leur salut : le travail étant l’acte par lequel l’homme, devenant créateur, forme son monde, les bases et les conditions de son humaine existence et conquiert en même temps sa liberté et son humanité.
La religion tue en eux cette puissance productive, en leur faisant mépriser la vie terrestre, en vue d’une céleste béatitude, et en leur représentant le travail comme une malédiction ou comme un châtiment mérité, et le désœuvrement comme un divin privilège. Elle tue en eux la justice, cette gardienne sévère de la fraternité et cette condition souveraine de la paix, en faisant toujours pencher la balance en faveur des plus forts, objets privilégiés de la sollicitude, de la grâce et de la bénédiction divines. Enfin, elle tue en eux l’humanité, en la remplaçant dans leur cœur par la divine cruauté.
Toute religion est fondée sur le sang, car toutes, comme on sait, reposent essentiellement sur l’idée du sacrifice, c’est-à-dire sur l’immolation perpétuelle de l’humanité à l’inextinguible vengeance de la divinité. Dans ce sanglant mystère, l’homme est toujours la victime, et le prêtre, homme aussi, mais homme privilégié par la grâce, est le divin bourreau. Cela nous explique pourquoi les prêtres de toutes les religions, les meilleurs, les plus humains, les plus doux, ont presque toujours dans le fond de leur cœur et sinon dans leur cœur, au moins dans leur esprit et dans leur imagination – et on sait l’influence que l’un et l’autre exercent sur le cœur – quelque chose de cruel et de sanguinaire ; et pourquoi, lorsqu’on avait partout agité la question de l’abolition de la peine de mort, prêtres catholiques romains, orthodoxes, Moscovites et Grecs, protestants – tous se sont unanimement déclarés pour son maintien !
La religion chrétienne plus que toute autre fut fondée sur le sang et historiquement baptisée dans le sang. Qu’on compte les millions de victimes que cette religion de l’amour et du pardon a immolées à la vengeance cruelle de son dieu. Qu’on se rappelle les tortures qu’elle a inventées et qu’elle a infligées. Est-elle devenue plus douce et plus humaine aujourd’hui ? Non, ébranlée par l’indifférence et par le scepticisme, elle est devenue seulement impuissante, ou plutôt beaucoup moins puissante, car malheureusement la puissance du mal ne lui manque pas encore, même aujourd’hui. Et regardez dans les pays où, galvanisée par des passions réactionnaires, elle se donne l’air de revivre : son premier mot n’est-il pas toujours la vengeance et le sang, son second mot l’abdication de la raison humaine, et sa conclusion l’esclavage ? Tant que le christianisme et les prêtres chrétiens, tant que quelle que religion divine que ce soit, continueront d’exercer la moindre influence sur les masses populaires, la raison, la liberté, l’humanité, la justice ne triompheront pas sur la Terre ; parce que tant que les masses populaires resteront plongées dans la superstition religieuse, elles serviront toujours d’instrument à tous les despotismes coalisés contre l’émancipation de l’humanité. Il nous importe donc beaucoup de délivrer les masses de la superstition religieuse, pas seulement par amour d’elles, mais encore par amour de nous-mêmes, pour sauver notre liberté et notre sécurité. Mais nous ne pouvons atteindre ce but que par deux moyens : la science positive et la propagande du socialisme.

Mikhaïl Bakounine
Extrait de Fédéralisme, socialisme et antithéologisme



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


lolo77

le 30 janvier 2015
Eh les mecs, Jésus est anarchiste, vous ne le saviez pas ?
Ainsi qu'une floppée de taoistes, bouddhistes...
Je dis ça pour ne pas perdre de vue qu'il ne faut pas se tromper de combat : on peut démolir la religion - avec raison- pour les horreurs que l'on a commises en son nom, mais ne jetez pas le bébé avec l'eau du bain : écoutez, lisez, méditez, reflechissez, avant de tout condamner en bloc.
Et puis là n'est pas la question.
Que Dieu existe ou pas, on s'en fout !
La question est : comment vivre heureux sans se taper dessus ?
Et là dessus, les traditions spirituelles (et les sciences) peuvent nous apprendre 2 ou 3 petites choses.

FREDERIC BEAGUE

le 2 février 2015
OK avec Lolo77. Le christianisme ne peut se réduire aux méfaits des "grandes" Eglises, dont l'Eglise catholique,qui ont dénaturé le message d'amour du prochain des Évangiles en s'alliant aux puissants de ce monde....

On peut être athée, ne pas adhérer à la partie religieuse du Nouveau Testament et trouvé cependant une portée positive et anarchiste au message attribué à Jésus : amour du prochain, souci des pauvres et des prisonniers, refus de la violence, action non-violente, mépris des richesses et de l'Etat, etc...

D'autre part, il faut reconnaître
- d'une part que le message de paix et d'amour de Jésus a pu s'incarner parfois à la marge dans les "grandes" églises catholiques et protestantes (Prêtres ouvriers, théologiens de la libération, Abbé Pierre, Martin Luther King, Ivan Illich...)
- et d'autre part qu'un christianisme authentique a toujours existé notamment grâce aux Quakers, Anabaptistes non violents (Mennonites, Hutterrers, Amishs), Unitariens, Tolstoïens, etc...

L’honnêteté intellectuelle impose toujours de ne pas amalgamer le bon grain et l'ivraie.... ;-)