Qui a dit que les documentaires ne relevaient pas du cinéma de genre ?

mis en ligne le 10 avril 2014
Une fois n’est pas coutume, je vais commencer par vous parler d’un autre film, Vingt-Huit Jours plus tard. Réalisé par Danny Boyle, sorti en 2002, le film lie horreur et science-fiction, revisitant le thème bien connu des zombies. L’histoire se déroule en Grande-Bretagne. Les médias annoncent alors que le monde entier a été contaminé par un virus mortel transformant en moins de dix secondes l’être humain en zombie. L’humanité est alors perdue… [Attention, spoilers.] Faux ! Erreur ! Mensonge ! Le virus n’a jamais quitté l’île qui a été mise en quarantaine par l’ONU. [Fin spoilers.] Vingt-Huit Jours plus tard, au-delà des caractéristiques de son genre, est donc une critique des politiques et, surtout, de la presse grand public, de la presse d’État.
Et, étrangement, quand j’ai vu le documentaire de Zoé Mavroudi Ruins : chronicle of an HIV witch-hunt, qui porte sur la Grèce, je me suis demandé s’il ne s’agissait pas aussi d’un film de genre. On connaissait Aube dorée et ses tendances au néonazisme, on avait vu la répression de l’État face aux émeutes d’Exárcheia, découvrons maintenant la criminalisation du sida via l’aide des médias !
Dans cette production digne des meilleurs scénarios hollywoodiens, quatre acteurs principaux : le gouvernement, incarné par le ministre de la Santé, les médias grecs, représentés par la télévision, une trentaine de femmes et les associations d’aide au VIH. Lieu principal : Athènes.
Nous sommes en 2012, des femmes, prostituées selon la police, sont soumises à un test forcé de dépistage du VIH. Une dizaine sont positives. On les présente comme étrangères, venant de Russie ou d’Afrique subsaharienne. La télévision relaie l’information, diffusant des photos de ces femmes et demandant à toute personne ayant eu des rapports sexuels tarifés avec elles d’aller immédiatement faire le test du sida, car « les bons pères de famille se doivent d’être protégés ». Les associations reçoivent alors des appels paniqués de ces femmes car, bien que testées comme positives, elles ne se sont vu proposer ni suivi médical ni suivi psychologique. Non, l’État préfère les poursuivre pour crime. Le crime d’avoir voulu contaminer sciemment la population athénienne et grecque. Le crime d’avoir voulu « répandre le VIH ». Ces femmes, en réalité grecques et dépendantes de certaines drogues pour la grande majorité, sont humiliées en place publique, montrées du doigt par l’État et les médias. Seules certaines associations tentent de rétablir la vérité.
À travers le documentaire, la réalisatrice démontre comment il s’agit en réalité d’une stratégie électorale de l’État. Vous comprenez maintenant, chers lecteurs, le rapprochement avec Vingt-Huit Jours plus tard ? L’État, via le secours des médias, a tenté (et au final plutôt réussi !) de rendre monstrueuse des femmes malades qui n’ont pour seul tort que de souffrir de notre société capitaliste et de la crise qui en découle. La désinformation dans une de ses plus « belles formes ». Comment créer la peur dans une population déjà sous tension. Ah, le quatrième pouvoir ! Et ce n’est qu’un des axes d’étude potentiels du documentaire.
Ruins : chronicle of an HIV witch-hunt est un documentaire dur, très dur, mais qui, par son esthétique et son écriture (usage des témoignages), le rend beau. Je ne peux que trop vous conseiller de le voir.

Violette
Groupe Isaac-Asimov