24 août 1944 : les républicains espagnols de la Nueve entrent dans Paris

mis en ligne le 20 mars 2014
1735EspagnolsParisQuand la Catalogne tombe, en janvier 1939, après deux ans et demi de combats contre l’armée putschiste de Franco, aidée par Hitler, Mussolini et Salazar, un demi-million d’Espagnols, sous les intempéries et les bombardements, franchissent la frontière française. Ils sont internés dans des camps de concentration improvisés, clos de barbelés : Gurs, Argelès, Bram, Saint-Cyprien, Le Vernet-d’Ariège… Au cours des premières semaines, près de 15 000 de ces exilés, désespérés, meurent de faim, de maladie, de froid…
Devant l’imminence de la guerre avec l’Allemagne, plusieurs dizaines de milliers de ces Espagnols sont incorporés à l’effort de guerre dans les compagnies de travailleurs étrangers (CTE) ou dans la Légion étrangère. Seule alternative : le retour en Espagne franquiste, au péril de leur vie !
Avec l’armistice, la situation s’aggrave. Aux yeux de Vichy, ces réfugiés sont des « rouges », potentiellement dangereux. L’Afrique du Nord « accueille » nombre d’entre eux ayant échappé à la répression fasciste en traversant la Méditerranée depuis les côtes espagnoles. Les autorités françaises en envoient environ 20 000 vers les camps d’internement et de discipline du Maroc, de Tunisie et d’Algérie. D’autres périssent dans des geôles vichystes ou sont déportés dans des camps nazis (comme Mauthausen, où sont morts les deux tiers des 7 200 internés).
Sortis des camps français, des milliers de soldats espagnols se battent contre les Allemands, sur tous les fronts : dans les Forces françaises libres au sein de la Résistance française…
En Afrique, après des batailles contre Vichy et les divisions allemandes du général Rommel, une partie de ces milliers d’Espagnols est intégrée à la 2e division blindée (2e DB) du général Leclerc.
Au sein de cette division, la 9e compagnie, la Nueve, est commandée par le capitaine français Dronne, mais les autres postes de responsabilité sont tenus par des Espagnols ; la langue de la compagnie est le castillan et une forte composante des hommes est anarchiste, antimilitariste…
Unité d’avant-garde en raison de son expérience de la guerre en Espagne, la Nueve est dotée de l’armement le plus moderne : depuis sa base, au Maroc, avec ses 22 véhicules chenillés – des half-tracks –, elle est transportée en Angleterre pour participer au débarquement.
À l’aube du 1er août 1944, la compagnie débarque en Normandie. Elle participe à de violents combats et libère diverses agglomérations, au prix de nombreuses pertes. Puis elle se dirige vers Paris.
L’après-midi du 24 août 1944, la Nueve traverse la ceinture de feu qui protège la ville et fonce vers le centre. De nombreux Parisiens acclament les libérateurs : en tête de la colonne, le Guadalajara est le premier véhicule à atteindre l’hôtel de ville, et le lieutenant « français » Amado Granell est le premier soldat de la 2e DB à rencontrer les représentants de la Résistance. La radio annonce l’événement ; les cloches retentissent et les Parisiens sortent dans la rue. Sur l’esplanade de l’hôtel de ville, la foule chante La Marseillaise et les Espagnols entonnent des chants de la résistance au fascisme.
Le 25 au matin, les affrontements se poursuivent contre les diverses poches de résistance allemande. Les Espagnols de Leclerc et ceux de la Résistance parisienne combattent ensemble. L’Estrémadurien Antonio Gutiérrez, l’Aragonais Navarro et le Sévillan Sánchez, combattants de la Résistance, rompent la défense allemande à l’hôtel Meurice ; ils entrent les premiers dans le bureau où se trouvent le général Von Choltitz, gouverneur militaire de Paris, et son état-major, les arrêtent et les remettent aux officiers de la 2e DB.
Le 26 août, tout Paris est dans la rue. La Nueve est postée avec le reste de la division face à l’Arc de Triomphe, saluée par le général de Gaulle avant le début du défilé de la victoire sur les Champs-Élysées. Le lieutenant Amado Granell ouvre la marche dans un véhicule portant la croix de Lorraine. De Gaulle et Leclerc sont escortés par les half-tracks des Espagnols de la Nueve, à la grande joie des Parisiens et des milliers de républicains espagnols qui saluent les libérateurs.
Treize jours plus tard, la compagnie repart au combat, avec toute la division Leclerc : Dompaire, Chatel, Nancy, Strasbourg… Le 27 avril 1945, la Nueve traverse le Rhin pour atteindre le nid d’aigle d’Hitler, à Berchtesgaden.
Les Espagnols de la Nueve étaient 146 quand ils débarquèrent en Normandie : ils ne sont que 16 à leur arrivée au bunker de Hitler. Les autres ont jalonné de leurs blessures ou de leurs tombes le long chemin de la Libération.

Association 24 août 1944



Ils ont dit, hier et aujourd’hui : témoignages et commentaires

Les hommes de la Nueve parlent de leur compagnie:

« Nous n’avions pas besoin de recevoir des ordres… On se réunissait […] et on décidait comment nous allions attaquer. »

Manuel Fernández : « La Nueve avait quelque chose de différent qu’on ne retrouvait pas dans les autres compagnies. Je crois que c’était le mélange d’hommes plus âgés et plus jeunes, tous avec une force et une envie de vaincre… »

L’arrivée dans Paris racontée par les hommes de la Nueve :

Fermín Pujol : « Les gens nous encourageaient tout au long du chemin, courant à nos côtés, pleurant, applaudissant, saluant, chantant. L’enthousiasme était incroyable. »

Manuel Lozano : « Les gens étaient très surpris en nous entendant parler espagnol. Ils n’arrêtaient pas de nous embrasser. Ce fut quelque chose d’extraordinaire ! »

Le capitaine Dronne, parlant de ces hommes : « S’ils embrassèrent notre cause, c’est parce que c’était la cause de la liberté. »
Evelyn Mesquida 1 : « Aucun de ces hommes n’avait la prétention d’écrire l’histoire. Chacun d’eux, cependant, y participa comme combattant et témoin d’exception. Les historiens et les politiques se sont très peu intéressés à eux. »
Charles C. Wertenbaker (envoyé spécial du New York Times, 26 août 1944) : « Nous prîmes la route vers Paris et, en arrivant dans le village d’Antony, nous fûmes stoppés par un escadron motorisé de républicains espagnols. La lutte dans le secteur était recrudescente et ces garçons aguerris de la République espagnole considéraient notre avancée dangereuse. Je profitai des circonstances pour entamer la conversation avec eux… D’après le commandant Putz, ils sont tous experts en armes motorisées modernes et font preuve d’un courage extraordinaire. Leurs tanks et autos blindées portent, peints sur le devant et les côtés, des noms aussi parlants que Ebro, Guadalajara, Belchite, et ils arborent le drapeau républicain. Nous poursuivîmes notre route et, avant midi, nous atteignîmes les faubourgs de la capitale, toujours précédés par les républicains espagnols, qui étaient acclamés dans un délire indescriptible par la population civile. »


1. La Nueve, 24 août 1944 : ces républicains espagnols qui ont libéré Paris, Le Cherche Midi, 2011.



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


rosablanca

le 21 juin 2014
Bonjour camarades,

Je suis à l'écoute de l'émission "Chroniques Rebelles" sur RL, et je suis extrêmement surpris d'entendre que, sous prétexte qu'elle soit la fille d'un républicain espagnol, A. Hidalgo serait la bienvenue lors des initiatives de l'association .

Démago; No passaran !

Alta la bandera revolucionaria

gladio

le 29 août 2014
Mme ce genre de divergences a coûté très cher au peuple et a la République Espagnole.
Le cri de "No Pasaran" s'addressait aux fascistes Espagnols qui assiégeaient Madrid, ...mais jamais , JAMAIS a d'autres Républicains.
L'ennemi était en face.
Malheureusement jusqu'a aujourd'hui, il y en a qui n'ont encore pas bien compris l'Histoire et qui continuent a ne pas comprendre les erreurs d'un peuple atrocement déchiqueté.
Revolución y República.