Che Guevara était un Suisse

mis en ligne le 6 février 2014
Les Suisses sont de dangereux révolutionnaires, prêts à renverser l’ordre établi. La preuve de cette assertion risquée tient en un mince volume appelé La Résistance totale. Un manuel de guérilla à la portée de tous (Eine Kleinkriegsanleitung für Jedermann), par H. Von Dach, major dans l’armée suisse de son état. Disponible en anglais sous le titre Total Resistance, swiss army guide to guerilla warfare and underground operations. Disponible légalement, d’autant que cette version américaine est présentée par le colonel Wendell Fertig, de l’armée américaine, et éditée par la bénigne Paladin Press, qui publie des titres aussi recommandés à la jeunesse que Coups mortels de karaté ou Comment fabriquer un silencieux pour un.22 long rifle. Sans parler des dix livres expliquant comment se forger des faux papiers et une nouvelle identité ou des dix autres dévoilant l’art de faire sauter serrures et cadenas. On aime son prochain et on respecte la loi, aux États-Unis.
Cet étonnant manuel, d’un sérieux tout suisse, fut écrit en 1958. En cette époque guère subtile, l’Occident tremblait. Les hordes bolchéviques, équipées de Kalachnikov atomiques et de femmes fatales irrésistibles (mais ayant lu Coups mortels de karaté), allaient envahir l’Europe ! La Suisse, patrie des banques aux coffres pleins d’or et aux bureaux pleins de sténodactylos irrésistibles (n’ayant jamais lu Coups mortels de karaté) tremblait, encore plus que d’autres. Patriote jusqu’au bout des ongles, le major von Dach se plongea donc dans l’étude des mémoires de divers guérilleros et guérillas, de Mao Zedong au maquis des Glières en passant par les diverses déculottées infligées à l’armée française (Espagne sous Napoléon, Vietnam sous la IVe, etc.). Il en tira un manuel simple, exhaustif, bref, utile à la ménagère n’ayant pas envie d’être violée par les hordes bolchéviques.
On y apprend des choses précieuses. Tenez, quelle quantité de munitions faut-il procurer à des guérilleros en embuscade ? Pas trop. Le guérillero regorgeant de cartouches reste longtemps, jusqu’à l’arrivée des grosses pièces ennemies. Le guérillero rationné tire ses coups puis se retire, sage et vivant. Quelle type de monnaie faut-il donner aux guérilleros ? Pff, facile : des médicaments sont bien plus précieux, bien plus légers, et bien moins compromettants que de l’or ou des gros billets. Comment se cacher lorsque la forêt où l’on campe est envahie par les troupes d’occupation ? En se glissant dans les trous qu’on y a préalablement creusés. Oui mais, comment savoir quand on peut sortir en toute sécurité des trous ? Grâce à l’homme le plus petit du groupe, qui sera resté en guetteur en haut d’un arbre très feuillu. On y apprend même, ce qui est rare dans un manuel militaire, des choses honnêtes. Par exemple : « Choisissez vos chefs avec soin. Les guérilleros doivent respecter et accepter leur leader. En territoire occupé, aucune police militaire, aucun tribunal aux armées, aucun État ne va aider le chef d’un maquis à maintenir la discipline. » Mieux :
« Moyens utilisés par l’ennemi pour exploiter la jeunesse, incluant l’exploitation diabolique (sic), sans scrupules, de :
1/Le désir juvénile d’action et d’aventure ;
2/La capacité à s’enthousiasmer pour des idées fausses ;
3/La capacité à se laisser facilement impressionner par des objets tels que drapeaux, uniformes, musique et images ;
4/Le développement encore réduit de l’esprit critique ;
5/Le fait que le jeune oublie vite et se remet plus vite encore ;
6/Le conflit de générations (la tension latente normale à l’encontre des générations plus âgées) ;
7/Les promesses d’un avenir meilleur ;
8/La coercition indirecte, ou directe, qui n’est utilisée qu’en dernier ressort. »
On voit que le major est un fin connaisseur des buts et des moyens du défunt service militaire français.
Le fait que le manuel du bon Suisse soit un tant soit peu daté (ah, tous ces conseils pour garantir le secret d’un raid en coupant d’abord les fils du téléphone…) ne provoque pas qu’un sourire d’amusement. à y bien réfléchir, on s’aperçoit que la majeure partie des techniques recommandées par ce professionnel compétent ne tiendrait pas longtemps dans un État moderne. En d’autres termes que l’avancement spectaculaire des technologies de communication et de surveillance rend douteuse la survie d’une Résistance analogue à celle des années quarante, en cas de ré-établissement d’une dictature directement brutale en France ou en Europe.