Une voix s’est éteinte

mis en ligne le 19 décembre 2013
1726CasquetteCette voix, elle t’était propre, mon Casquette, sans compromis, sincère avec tes amis, cinglant, persiflante et cassante avec tes ennemis, cette voix ne sera plus et pourtant elle résonnera pour longtemps en moi, « vieux chacal » cette expression que t’aimais tant. Je salue l’homme et l’ami, que j’ai rencontré un jour de novembre 1995 dans les studios Barsaq. C’était notre première émission, tu faisais déjà ta chronique « Jus de rue », il y avait Charles, Francis, Christian, c’était le temps des « Voyages magnétiques », les sorties du studio au p’tit matin, là-haut, sur la Butte. En 96 débute « Ça booste sur les pavés ». L’aventure va durer dix ans (1996-2006). Dix ans de coups de gueule, de reportages pour dénoncer les vilenies de notre société, mais aussi dix ans de découvertes, de tranches de vie, musicales, sociales au micro de cette si belle et rebelle radio, qu’est Radio libertaire. De cette rencontre, une complicité s’est installée devenant plus forte au fil de ces années qui nous ont permis de tisser une amitié qui ne s’est jamais démentie. Des anecdotes, j’en aurais à foison, l’occupation de l’école d’Ulm, pôle emploi, EDF ; la télé pirate Ondes sans frontières, rue d’Avron, les nouveaux studios, les sans-papiers, les exclus du Canal et tant d’autres aventures que nous avons vécues ensemble ou non, car tu avais à cœur de dénoncer les travers du système. Tu avais cette énergie et cette rage au fond de toi mais aussi ce trop-plein d’humanité qui transparaissait plus que tu n’aurais voulu. Mais la vie ne t’a pas fait que des cadeaux : enfant de la DDASS, tu t’es beaucoup investi dans la lutte des « né(e)s sous X », ton goût pour la peinture Flamande t’a mis sur la touche pour un temps, tu as connu la rue avec tous ses travers et pourtant même dans cette période funeste, tu as puisé suffisamment d’énergie pour monter « le théâtre des Abysses » sous le pont Louis-Philippe. Comme tu le disais, tu n’avais pas fait « d’études » et pourtant, comme tous les autodidactes tu as démontré que quand on veut, on peut. T’avais une soif de connaissance, tu t’es mis à l’écriture, tu as publié La Guerre des pauvres, écrit des pièces de théâtre, la dernière étant Oup’s, et que dire des enquêtes de Lacloche et tout ça à compte d’auteur car trop rebelle et libertaire pour s’assujettir. Tu étais droit dans tes bottes, ces bottes que je t’ai toujours connues. Et fier sous ta casquette, cette malice charmeuse dans l’œil, avec cette gouaille mi titi mi vosgienne. Cette région dont tu étais natif a vu l’arrivée d’une petite Bertille qui a fait la joie d’un vieil ours comme toi, j’ai pu voir un grand-père ému, elle a été un rayon de soleil. Après ta grève de la faim des enfants du canal 2008, et celle de 2009 au Père-Lachaise, qui ne t’ont pas épargné, tu pars vers Bordeaux, t’es à fond dans ton agence d’investigation, tu prends le maquis, puis cet accident, la grande faucheuse te rate d’un cheveu. Sur les conseils de quelques-uns, tu décides de te refaire une santé et c’est vers le sud que tu poses ton ordi. Là, tu vas tenter de te réparer, l’Abeille va t’y aider comme elle a souvent tenté de le faire par le passé. La distance, la précarité de nos vies ne nous ont pas permis de nous revoir aussi souvent qu’on l’aurait souhaité. Cette fois la grande faucheuse t’a emmené avec elle, en nous privant de ta présence. Tu vas nous manquer, mon Casquette, on n’entendra plus tes gueulantes, on ne verra plus ta silhouette sur les conflits sociaux, ta caméra ne captera plus les dérives d’une société que tu essayais de réveiller. Ton micro ne récoltera plus la parole des sans-voix, des laissés pour compte, des anonymes que tu interviewais pour faire entendre leur rage et leur désespoir. Oui, tu vas nous manquer, me manquer, la lucarne à blaireaux ne fera sans doute pas cas de ton départ mais qu’importe. Radio libertaire perd une voix, je perds un ami. Adieu, vieille canaille.

Squale