Belleville, carrefour du monde

mis en ligne le 23 janvier 2014
Le Monde libertaire était invité à découvrir Le Monde dans un jardin, un film de Frédérique Pressamnn, qui sort sur les écrans le 22 janvier. La lune argentée s’estampe dans un ciel d’encre pour laisser poindre le jour. Posé sur une branche, un merle vocalise. Deux chats noirs suivent un tracé délicat pour éviter les longues herbes mouillées de rosée. Un groupe de vieux Chinois salue le soleil par une danse gestuelle séculaire. Non, nous ne sommes pas dans un jardin de Pékin. Nous sommes dans le parc de Belleville, posé en plein Paris. Empreint de l’alternance entre un lieu de paix la nuit et un lieu rempli de vie le jour, le film en montre toutes les variantes déclinées au rythme des saisons qui passent. Construit il y a vingt-cinq ans sur les pentes de ce quartier populaire et chargé d’histoire, le parc est né sur des ruines qu’il a fallu raser pour cause d’insalubrité. Depuis d’autres vies s’y croisent. C’est Gérard, le jardinier en chef, qui parle à un rameau de vigne pour « chauffer le bois », afin qu’il accepte de se courber sans se rompre pour s’accrocher au fil de fer. élevé à la campagne, noyé dans la nature, il nous explique qu’il faut respecter sa sensibilité si l’on veut s’en faire obéir. Il dirige avec souplesse et passion sa petite équipe. Mais le parc, c’est aussi un havre de paix bordé par le cercle plus violent du bruit et de la pollution urbaine. Le bruit des deux-roues qui le longent. Les cris des élèves du quartier qui jouent dans le jardin. Les danseurs de tango qui s’entraînent. Les jeunes qui jouent au ping-pong. Les vieilles dames qui nourrissent les pigeons assises en rang d’oignon sur leur banc. La vie d’un parc. Mais aussi les paroles des riverains qui s’y promènent. Une femme africaine qui vient s’y ressourcer, car elle vit forcée à Paris où elle travaille pour soigner sa nièce malade et orpheline. Déçue par l’accueil des Français et par la difficulté à vivre ici, mais qui adore les chansons de Tino Rossi. Le film est une succession d’images d’hier et d’aujourd’hui, finement orchestrée de bruits, de paroles et de silences. C’est après l’orage, l’émerveillement de voir, en pleine ville, un escargot sortir des feuilles et s’étirer sur le béton d’une allée au pied d’un mur qui porte l’inscription « Lutte sociale ». C’est encore Gérard qui demande à ses stagiaires, pourquoi certaines graines ont décidé de pousser devant la remise et pas ailleurs ? « Tout simplement parce qu’elles s’y sentent bien ! » Beaucoup de choses compliquées semblent redevenir simples dans ce film intelligent et reposant. Réaliste, c’est aussi ce jeune Chinois qui avait peur des autres jeunes en arrivant à Belleville parce qu’il ne parlait pas français. C’est ce jeune Africain qui explique que Belleville ce n’est pas un ghetto, même si c’est dur de vivre à Paris où « tout est fait pour que la jeunesse se déconnecte », où il faut se débrouiller, vendre du shit pour financer ses études, mais que c’est un beau quartier dans un beau pays où des gens se sont battus pour obtenir des droits et que c’est malheureux qu’ici, malgré tout, un Le Pen arrive au second tour. C’est encore cette vieille femme qui ne sait plus trop bien… Ce beau film est un peu comme un résumé de la multitude qui peuple les pentes de Belleville, décliné au magnifique accent du mélange.