Un peu d’espoir dans un monde déprimant

mis en ligne le 23 janvier 2014
Il faut reconnaître que Le Monde libertaire n’est pas un journal joyeux : des prévisions de l’Apocalypse aux dénonciations des turpitudes en bande organisée, en passant par les anathèmes, les malédictions et les blasphèmes, le ton et le drapeau sont les mêmes : noirs. Aujourd’hui, foin de livres tristes, de révélations moroses et de scandales vomitifs, place au rose et au vert, place à un livre délicieusement optimiste, Un million de révolutions tranquilles. Comment les citoyens changent le monde, de Bénédicte Monnier. Le titre dit tout, le livre compile les centaines, les milliers d’initiatives concrètes, physiques, réelles, par lesquelles les citoyennes (il est bien plus question de femmes que d’hommes, dans ce livre) reprennent leurs vies en mains, l’arrachent à celles des multinationales et créent un monde fait pour l’être humain.

D’abord, l’eau
On le sait depuis longtemps déjà (voir Les Voleurs d’eau de Colin Ward), nous sommes en train de manquer d’eau potable. En Inde, par exemple, 95 % de la population rurale avait une forme d’accès, aisée ou non, à l’eau potable en 2005. En 2009, la proportion était réduite à 66 % ! Ce n’est guère mieux dans les villes, à New Delhi les robinets coulent deux heures par jour. Mais au Rajasthan… Oui, le Rajasthan, un état indien particulièrement aride et poussiéreux. Au Rajasthan, écrit Bénédicte Monniern « quand on arrive dans le district d’Alwar, près de Jaipur, le paysage surprend. Si ce n’étaient les charrettes tirées par des dromadaires, on se croirait en Normandie : la terre humide est fraîchement labourée, les champs sont verts et entourés d’arbres ». Udaïpur et Livarot, même combat ? L’histoire commence en 1985 avec un jeune fonctionnaire de santé, Rajendra Singh, qui apprend d’un vieux villageois qu’avant la colonisation britannique existait un système d’irrigation locale par petits bassins appelés « johads ». Les Britanniques avaient combattu les johads, qu’ils voyaient comme des réservoirs à moustiques. Avec l’indépendance, les choses s’étaient aggravées. Hélas, sans collecte des eaux de pluie, plus de nappes phréatiques, plus de puits… En moyenne, les femmes d’Alwar marchaient trois heures à l’aller et trois heures au retour pour une jarre d’eau sur leur tête. Rajendra Singh propose donc un peu partout de recreuser les johads. Mais les hommes ont oublié et sont sceptiques, et les politiciens, eux, préfèrent une population dépendante qui mendie la faveur d’un camion-citerne, d’une pompe… Alors, Singh prend sa pelle et sa pioche. Il creuse. Seul, dix heures sous le soleil. Trois ans pour le premier johad. Ça marche ! Mais un seul johad, ça ne marche pas beaucoup. Ayant toutefois acquis le respect des villageois, Singh les convainc de se lancer. Les uns donnent quelques roupies, les autres des pioches, la plupart leur travail. Des centaines de volontaires, dont, comme par hasard, beaucoup de femmes, creusent comme des brutes. En un an, cinquante johads apparaissent. L’efficacité du vieux système est si évidente qu’à présent 10 000 ouvrages, johads, canaux et petits barrages irriguent un millier de villages et leurs 700 000 habitants. Au milieu de la sécheresse, l’abondance. Au milieu du désert, la Normandie. Deux, voire trois récoltes par an. Revenu moyen annuel trois fois au-dessus du seuil de pauvreté indien.

Les cerises (noires) sur le gâteau
Le mieux ? Pas de chefs ! Toute la coordination, toutes les décisions sont prises en assemblée égalitaire. Au consensus. Des assemblées bourrées de femmes. Et les autorités, là-dedans ? Citons Bénédicte Monnier : « Quand l’Arvari s’est remise à couler, ses riverains ont aussi vu arriver des fonctionnaires qui, ayant entendu parler de la résurrection de la rivière, venaient prélever des taxes de pêche. Préférant en rire, les villageois les ont renvoyés à leurs bureaux, en leur rappelant que s’ils avaient compté sur les autorités, l’eau ne serait jamais revenue dans le district. » Dans le Maharastra, au Népal, en Thaïlande, en Iran, en Afghanistan, au Burkina Faso, au Niger, des initiatives similaires ont fleuri. Et le livre de continuer, de décrire le succès et l’extraordinaire résistance aux crises du modèle coopératif (en France, les coopératives, les scop, les amap…), les reprises des friches urbaines et leur transformation en potagers et jardins collectifs dans le monde entier et en particulier dans Detroit-la-Sinistrée, les credit unions qui contournent les banques et leur reprennent l’épargne populaire qu’elles volent et gaspillent, la « maison de retraite » des Babayagas à Montreuil, le collectif 100 % féminin des MudGirls canadiennes qui construisent, et enseignent à construire, en matériaux écologiques et recyclés. Quel plaisir de terminer cet article en écrivant trois lettres : etc.