Caracremada, l’irréductible

mis en ligne le 11 décembre 2013
Août 1963. Des millions de touristes (dont la moitié des Français) déferlent sur la Costa Brava. L’Espagne de Franco la Muerte n’est plus tricarde pour les démocraties bourgeoises de la société de consommation.
Août 1963. Au même moment, à quelques dizaines de kilomètres de Barcelone, Caracremada, le dernier guérillero catalan, tombe sous les balles de la guardia civil. Lui n’avait rien oublié !
Mais, quel est cet homme qui, contre vents et marées, s’est battu jusqu’au bout contre le fascisme espagnol et son caudillo ?
Ramón Vila Capdevila est né le 1er avril 1908 à Peguera, un hameau catalan à moins d’une heure de route de Font-Romeu. Il a 8 ans quand un incendie ravage la maison familiale. Sa sœur, Carmen, périt dans l’incendie. Lui sera « seulement » gravement brûlé au visage. D’où son surnom, Caracremada, face brûlée. Adolescent, il travaille dans le complexe minier de Cercs. Le petit paysan à moitié analphabète y découvre les luttes ouvrières et l’action directe. Début des années 1930, il rejoint la CNT. En 1933, il est condamné à quatre ans de prison pour distribution de tracts et port d’arme. A-t-il fait son temps ou une partie ? S’est-il évadé ? Le 10 avril 1936, avec son cousin, il attaque une pharmacie près de Valence. Quelques jours plus tard, trois policiers arrêtent les deux hommes. Une fusillade s’ensuit. Le cousin meurt. Caracremada tue son premier policier. Il est envoyé en prison à San Miguel de Los Royes. Il sera libéré le 19 juillet 1936 par la révolution.
Ensuite, il rejoint la colonne Terre et Liberté ou la colonne de Fer. On ne sait. En 1937, il refuse la militarisation. Retour à la mine. Mais la guerre le rattrape. Incorporation dans la 153e brigade mixte. Puis la défaite. La fuite vers la France. On le retrouve dans le maquis du Limousin sous le nom de Ramón Pons Llaugi, alias capitaine Raymond. Le 8 juin 1944, à 13 kilomètres d’Oradour-sur-Glane, son équipe a un accrochage avec l’armée allemande. Un soldat est tué. Le 10 juin, la division Das Reich se venge.
Après la défaite des nazis, nombre de républicains espagnols pensaient que les alliés allaient les aider à liquider le régime de Franco. Mais, que nenni ! C’était la guerre froide et il n’était pas question d’avoir un pays rouge au sud de l’Europe.
L’illusion perdurera encore quelques années. Mais il fallait regarder les choses en face. Et puis, les maquis, en Espagne, faute d’appui extérieur, tombaient les uns après les autres.
Pendant plusieurs années, Caracremada fut un des passeurs de la CNT. Il convoyait des hommes et des armes à travers la montagne qu’il connaissait comme sa poche. Tout en jouant de l’explosif et du révolver.
Fin des années 1950, devant le rouleau compresseur répressif, la CNT décida d’abandonner la lutte armée.
Caracremada et quelques autres décidèrent, eux, de continuer. Mais chaque jour un peu moins nombreux et un peu plus seuls.
Une telle attitude, largement suicidaire, ne pouvait qu’avoir une issue fatale.
Caracremada fut le dernier guérillero catalan à tomber les armes à la main en 1963.
Ce livre, magnifiquement écrit, nous raconte le parcours d’un homme dont on peut discuter l’obstination dans un type de lutte devenue une impasse mais dont on ne peut pas discuter le courage et la fidélité à l’idéal libertaire.
Caracremada n’ayant pas de blog pour informer les internautes de ses moindres faits et gestes, des parties de sa vie ne nous sont connues que par des témoignages difficiles à vérifier. D’où le titre de ce livre, Vie et légendes. Mais, vous verrez, le travail de recherche, méticuleux, de Thierry Guilabert, incite à penser que la légende a été largement sous estimée.
Ce livre a reçu, au salon du livre anarchiste de Merlieux, le grand prix Ni dieu ni maître 2013. C’était la moindre des choses pour un livre exceptionnel !