Nouvelle défaite endimanchée pour les travailleurs

mis en ligne le 9 janvier 2014
Eh bien, voilà ! La droite le voulait, la gauche l’a fait : le dimanche est en passe de devenir un jour ouvré, comme les autres. Ces derniers mois, la question du travail dominical avait fait couler de l’encre dans la presse écrite et de la bave sur les plateaux télé. Annonçant l’aberrante geste des Bonnets rouges, des dizaines de salariés d’enseignes de bricolage se révoltaient, dans les bras de leurs patrons, pour bosser le dimanche. Plutôt que de réclamer des augmentations de salaire, ces travailleurs avaient préféré exiger de bosser un jour normalement chômé, arguant qu’ils gagneraient ainsi davantage. Le gouvernement était resté timide, ne sachant pas sur quel pied danser, mais laissait tout de même penser qu’il accorderait bien à ces salariés ce qu’ils demandaient. Pierre Moscovici, actuel ministre de l’Économie, avait ainsi manifesté son désir de « donner plus de liberté en la matière », et Michel Sapin, son collègue du Travail, avait, lui, estimé qu’il fallait « plus de souplesse sur le travail du dimanche ». Rien de bien méchant, mais dans le temple de l’hypocrisie et de la langue de bois qu’est la politique parlementaire, il fallait bien sûr comprendre : « Il est temps qu’on en finisse avec cet archaïsme qu’est le dimanche chômé. »

Un décret en guise de « bonne année ! »
De fait, il n’a pas fallu attendre bien longtemps. Lundi 30 décembre, en guise de cadeau précoce pour la nouvelle année, le gouvernement a publié un décret inscrivant les « établissements de commerce de détail du bricolage sur la liste des catégories d’établissements pouvant déroger de droit au repos dominical ». Et jusqu’en juillet 2015, le temps… d’une expérimentation. La belle affaire ! Certes – ne jouons pas non plus les manipulateurs –, le décret précise que le travail dominical ne pourra se faire que sur la base du volontariat, et qu’il impliquera « un doublement au minimum de la rémunération » et l’octroi d’un repos compensateur. De même, il dit insister sur le fait que « le repos dominical doit rester la règle générale ». Pour justifier ce décret, le gouvernement prétend avoir obtenu, de la part de la Fédération des magasins de bricolage (organisation patronale), « des engagements en termes d’emploi ». On a hâte de savoir lesquels et, plus encore, de les voir tenus… Sans doute vont-ils recourir à des contrats précaires d’une dizaine d’heures hebdomadaires qu’ils accorderont à des étudiants, en leur disant que ces quelques heures doivent se faire le dimanche (d’autant que les facs, elles, chôment ce jour-là). Pas de quoi faire tomber le nombre de chômeurs, en somme.

Vers la fin d’un acquis social
Bien sûr, défendre le dimanche comme jour chômé n’implique pas une adhésion au christianisme, ni un quelconque respect – même athée – de la culture judéo-chrétienne. Car la question du travail dominical relève désormais… de la lutte des classes. Outre que le dimanche chômé permet de sortir un peu de la bulle consumériste dans laquelle la société est plongée le reste de la semaine, il offre aussi des garanties à ceux qui travaillent ce jour-là, et notamment l’obligation pour le patron de verser un salaire (beaucoup) plus élevé. Alors, certes, le décret passé lundi 30 décembre conserve cet aspect primordial, mais il serait bien naïf de croire que la question du travail du dimanche en restera là. Car les patrons – d’enseignes de bricolage ou autres – aspirent bien sûr – c’est dans leurs intérêts (de classe) – à voir le dimanche devenir un jour ouvré, sans doublement de la rémunération et sans consentement obligatoire des salariés. Durant les derniers mois, suffisamment de patrons et d’élus (de droite comme de gauche) ont vanté les pays où le dimanche est un jour comme les autres pour nous en convaincre 1. En outre, plusieurs secteurs professionnels en témoignent déjà, notamment la restauration où travailler le dimanche ne repose pas sur le volontariat et n’oblige pas le patron à verser un salaire plus élevé (tout ceci étant légalement entériné par la convention collective). Le décret du gouvernement, s’il ne change pas grand-chose dans l’immédiat (les magasins ouvraient tout de même, en proposant des avantages aux salariés volontaires), est donc un grand pas franchi vers, à terme, l’instauration d’un dimanche ouvré. Rendez-vous dans quelques années, si ce n’est quelques mois, pour confirmer cette nouvelle atteinte (socialiste) aux droits des travailleurs.





1. En revanche, pas de bol pour tous ces libéraux fanatiques du modèle allemand : outre-Rhin, le dimanche est un jour chômé, point barre.