Ma binette galactique

mis en ligne le 11 décembre 2013
Rien ne freine la conquête de l’espace par l’élite des aventuriers humains, les marchands. De brillants esprits américains ont remarqué que l’abondance minière est à portée de main. En effet, la Terre est environnée d’astéroïdes. Or les astéroïdes regorgent de minéraux, hélas plus chichement répartis dans l’écorce terrestre. Ne parlons même pas de leurs millions de tonnes de minerai de fer ; de plus grande valeur encore, le nickel, l’aluminium ou les métaux rares du groupe du platine ne demandent qu’à y être cueillis. Les astéroïdes sont loin ? Pas du tout ! On en recense 1 500 à une distance égale à celle entre la Terre et la Lune. Une distance que l’Amérique a démontré savoir parcourir. Dans les termes mêmes de ces brillants esprits américains, « les astéroïdes sont le meilleur investissement immobilier du système solaire ». Traders, oubliez l’avenue Foch, c’est dans le vide intersidéral qu’il faut investir votre bonus annuel !
En plus, les astéroïdes sont bourrés d’eau. L’eau, qui sert déjà à désaltérer les astronautes, procurerait, via oxygène et hydrogène, toute l’énergie que l’on voudrait aux opérations minières astéroïdales, ainsi qu’aux fusées nécessaires à l’acheminement des machines, des travailleurs et des minerais. Un M. Diamandis, médecin d’une part et spécialiste spatial de l’autre, a donc fondé Planetary Resources, Inc., et en a vendu une belle poignée d’actions à Sir Richard Branson, l’homme de Virgin. Peter Diamandis est fier par ailleurs de son amitié avec Elon Musk, le fondateur de Paypal, de Tesla Motors et de SpaceX, et avec Peter Thiel, l’autre fondateur de Paypal, transhumaniste et pilier de la droite la plus solide.
Chapeau bas devant l’extraordinaire esprit d’entreprise américain, rien ne l’arrête, pas même « le silence éternel de ces espaces infinis ». Ô lectrice, ô lecteur, savourez la vision du ciel étoilé sillonné des fulgurances des moteurs échauffés des trains de marchandises spatiaux approvisionnant nos usines en minerai de fer. Plus jamais on ne regardera sa machine à laver ou son grille-pain du même œil ! Dans la moindre boîte de sardines, on saura voir l’aluminium d’A22275NK43, dans le moindre porte-clés on admirera le nickel d’outre-Terre. Et dans l’espace, la croissance. La croissance infinie, comme l’espace est infini ! PIB, désormais, signifiera produit intergalactique brut. Exaltante perspective.

Selfie d’élite
Mais je vous vois venir, grincheux anarchistes, peuple au cœur endurci contre les gloires de l’or et les joies du lucre ! J’entends vos impuissantes calomnies : « Tout ceci pour les entreprises géantes, monstres impersonnels insoucieux du bonheur des individus qui les servent ! » Non, nos brillants esprits américains n’oublient pas l’individu. Ils ont gardé une place pour lui. L’espace infini va bientôt admirer notre charmante finitude, nos attendrissantes limites. Voici comment : Planetary Resources va se munir d’un télescope spatial, mais souhaite le financer par le biais du crowdfunding, un néologisme que l’on peut traduire littéralement en « financement par la foule ». En d’autres termes, on ne demande pas dix millions à un millionnaire, mais mille à cent mille personnes. Toutefois, étant donné que le télescope ne va rien rapporter financièrement à la foule finançante, le docteur Diamandis s’est demandé comment la remercier. Il n’ignore pas que les vrais dieux de notre époque sont Mammon et Narcisse. On ne prie plus au mur des Lamentations, on publie sur son mur Facebook. Moi, mon visage, mes aventures, mes circonstances et mes brimborions. Bon commerçant, le docteur Diamandis a imaginé la récompense suivante : les donateurs envoient leur photo (le « selfie » de l’intertitre). Cette photo apparaîtra sur un écran externe du télescope satellite. Alors le bras du télescope se déploiera, puis se retournera et, prenant soin d’avoir la Terre comme arrière-plan, photographiera l’image d’Ebenezer J. Smith apparaissant sur un écran, et par conséquent devant la Terre !
Impossible de faire plus glorieux, n’est-ce pas ? Si. Les dix donateurs les plus généreux auront leur nom gravé sur la paroi même du télescope, juste à côté de l’écran. Leur nom apparaîtra donc sur la totalité des selfies pris dans l’espace ! Sors d’ici, Enstein, disparais, Pasteur, voici l’immortel Ebenezer J. Smith (bis). Ingénieurs et donateurs, vous n’avez pas vécu en vain.