L’insoutenable légèreté des donneurs de leçons

mis en ligne le 28 novembre 2013
La lutte des classes n’est pas un long fleuve tranquille et a besoin de militants lucides et déterminés beaucoup plus que de donneurs de leçons ou, pire, de commissaires politiques.
À chaque moment de l’histoire où les luttes sociales se sont développées, voire embrasées, il y a eu des choix stratégiques à faire, des terrains à prendre ou à déserter, des discussions pratiques ou des péroraisons théoriques comminatoires. Et des choix faits découlent, pour les militants anarchistes et la lutte de classe en général, une emprise sur le réel ou, à l’inverse, un discours sur un réel inventé.
L’anarcho-syndicalisme, par essence, est en permanence confronté à cette question : il faut, bien évidemment, connaître les fondamentaux théoriques pour savoir « où l’on habite », mais il reste ensuite concrètement à les mettre en œuvre dans la vraie vie.
Parfois, c’est assez simple, parfois, c’est plus compliqué et c’est notamment le cas quand la colère monte dans une partie importante de la population avec des mélanges pas toujours rationnels ou politiquement corrects, si l’on peut dire. D’autant que certains s’ingénient à rendre les choses confuses, ce qui est toujours le cas dans ces moments-là. Cela serait trop simple sinon…
C’est exactement ce qui se passe en ce moment en Bretagne avec le mouvement dit des Bonnets rouges en référence à une « jacquerie » bretonne de 1675.
À la base, des plans de licenciements d’une brutalité extrême dans l’agroalimentaire, notamment dans le Finistère, mais aussi dans l’automobile (PSA Rennes), dans la sous-traitance, dans la téléphonie, dans la chimie… Des salariés qui s’organisent et résistent jour après jour avec une grande détermination (Doux, Gad, Marine-Harvest…) avec leurs syndicats (FO et CGT) contre les patrons, les politiques et, parfois, la CFDT, qui a fait sortir ses troupes sur le site de Gad à Josselin (Morbihan) pour cogner sur les grévistes FO.
Sur ce fond de colère sociale, de désespoir parfois, tous les menteurs, truqueurs et falsificateurs ont essayé de faire fructifier leurs idées nauséabondes ou corporatistes : patrons « bretons » organisés dans l’obscur mais puissant Institut de Locarn, politiciens régionalistes tel le maire de Carhaix, manipulateur né, voire identitaires fascisants pour qui la destruction de portiques n’est bien évidemment qu’un prétexte pour dénoncer la mainmise française qui « n’amène que des malheurs et des étrangers ».
À ce stade, deux possibilités :
– Regarder en spectateur, en donneur de leçons. Expliquer aux salariés que ce ne sont que des cons manipulés et qu’en plus, si c’est pour produire de la merde dans le cadre d’une agriculture productiviste, ce n’est pas bien grave s’ils perdent leur emploi et que c’est même une bonne chose pour la planète… Coups de boule assurés (bien mérités) et surtout discours définitivement inaudibles et discrédités puisque associés à la perte d’emploi et à la misère.
– Être auprès des travailleurs, chômeurs, jeunes… pour ne pas laisser la place aux menteurs et manipulateurs, pour se battre avec eux et, à travers ces luttes, faire passer des idées et des pratiques.
Le 2 novembre, qu’on le veuille ou non, qu’on le déplore ou non, ce sont des centaines et des centaines de salariés de Gad (FO) de Doux (FO), de Marine-Harvest (CGT), de la pêche (CGT) qui ont décidé qu’ils iraient manifester à Quimper et pas ailleurs. Les mêmes qui ont considéré (voir la lettre incendiaire de la section CGT de la navale à ses responsables régionaux) que les appareils (CGT, SUD, FSU) qui défilaient le même jour à Carhaix les trahissaient et soutenaient, de fait, le gouvernement. C’est dans ces conditions que les militants anarcho-syndicalistes de FO ont décidé, en toute conscience, de prendre leurs responsabilités en allant aider à constituer un cortège syndical très clair et très net sur le fond et sur la forme.
Certes, nous y avons côtoyé, au début du rassemblement, des gens peu fréquentables. Il a fallu physiquement défendre la sono qui diffusait des slogans sans ambiguïté aucune du type « Breton ou pas, un patron reste un patron » ou « Français immigrés, mêmes patrons même combat », mais, au final, c’est un cortège de plus de mille salariés de FO et de la CGT qui s’est constitué et a défilé en toute « souveraineté » dans les rues de Quimper avec des dizaines de contacts et de discussions sur la situation et les diversions et rideaux de fumée entretenus pour protéger le système. Qui l’aurait fait en notre absence ?
Nous admettons tout à fait que cette stratégie puisse être discutée ou critiquée, mais elle est nôtre et nous considérons que nous avons fait, en mettant les mains dans le cambouis, œuvre utile. N’en déplaise à certains commissaires politiques du Parti ouvrier indépendant décrivant, dans certains papiers, les manifestants de Quimper comme, au mieux des abrutis n’ayant rien compris à la situation ou, au pire, des traîtres cryptofascistes (la meilleure preuve pour eux étant probablement que le NPA défilait aussi à Quimper).
Les manœuvres de tous ordres ne sont pas encore terminées. Le gouvernement aux abois a un besoin crucial d’un pseudo-consensus. C’est tout l’objet du Pacte d’avenir pour la Bretagne présenté le 6 novembre et qu’Ayrault est supposé signer d’ici à la fin du mois. Vaste fumisterie, indécent, voire dangereux sur bien des aspects, il a déjà reçu le soutien empressé d’une intersyndicale régionale (tous les syndicats, sauf FO) réclamant un « pacte social pour l’avenir de la Bretagne ». Nul doute que les salariés touchés par les plans de licenciements vont apprécier…
Sans se la jouer, étant ouvert à toutes les discussions sur la situation et sur les meilleurs moyens de peser efficacement, les militants anarcho-syndicalistes continueront contre vents et marées à participer aux luttes sociales, à tout faire pour les fédérer et à tenter de faire partager au plus grand nombre des perspectives réellement émancipatrices.

Maurice
Groupe La Sociale de la Fédération anarchiste