Syndicalisme autonome en pays algérien

mis en ligne le 7 novembre 2013
1720AlgerieLes révoltes qui ont eu lieu en Afrique du Nord, ce qu’on a dénommé « Printemps arabe », ne se sont pas produites en Algérie. Est-ce à dire que la situation des travailleurs est idyllique dans ce pays ? Loin de là ; nous en parlions déjà il y a un an et demi dans les colonnes de ce journal 1 : luttes des travailleurs et répression étatique sont au menu quotidien. Il est loin le temps où, en France, une certaine gauche – éclairée bien sûr – ne tarissait pas d’éloges envers cette Algérie indépendante, socialiste (?) voire autogestionnaire (quelle blague !). À un odieux colonialisme qu’il fallait évidemment faire disparaître, a succédé un État non moins odieux, aux mains des généraux, basé sur le principe du parti unique des « démocraties populaires ». Un pays riche, mais des habitants pauvres (mise à part une « nomenklatura » principalement composée de militaires). Un demi-siècle d’indépendance n’a pas résolu le chômage et le manque de logements, ni le mécontentement de la population qui est loin de diminuer.

Rustine sur jambe de bois
Pour pallier au chômage, le gouvernement algérien a lancé un plan de contrats à durée (très) limitée dans la fonction publique (ça vous rappelle quelque chose ?). Plus de 600 000 jeunes « bénéficient » de ce type de contrats qui ne leur procurent que des revenus très inférieurs au salaire minimum garanti dans le pays, et les plongent dans la plus grande précarité, sans aucun droit car susceptibles d’être licenciés à tout moment. Les femmes qui sont les plus nombreuses à travailler dans les services publics sont bien sûr les premières concernées par tous les types de chantage subis afin de pouvoir conserver un emploi dans des conditions qui supposent qu’elles soient corvéables à merci.

Public/privé, même combat
En 2009, on avait déjà pu assister à une grève des enseignants contractuels pour protester contre la dégradation de leurs conditions de travail, exiger un salaire décent et la création de nouveaux postes. Réponse du gouvernement (populaire ? socialiste ?) : la matraque ; répression, arrestations, licenciements, la routine quoi. En 2010, les syndicats autonomes algériens organisent le Forum syndical du Maghreb. La veille de la réunion, le local (la maison des syndicats) est fermé par les autorités ; motifs fantaisistes genre « porte atteinte à l’intégrité du pays et véhicule la propagande sioniste d’Israël et des États-Unis ». Comme sous tous les régimes autoritaires, l’explication est la même : il s’agit d’un complot international ; nous avons connu ça aussi en 1968, quand un certain Juif allemand (rouquin de surcroît !) était accusé de déstabiliser notre belle France. Revenons en Algérie : en mars 2011, un sit-in réunissant cinq cents salariés contractuels a lieu devant le palais présidentiel : répression, arrestations, mais cette fois promesses gouvernementales d’examiner les problèmes. Promesses non tenues, évidemment. 2
Auparavant, une dizaine de syndicats autonomes des secteurs public et privé déposent au ministère du Travail un dossier pour obtenir le récépissé les autorisant à avoir une activité légale. La loi prévoit que le ministère doit répondre – favorablement ou non – dans un délai d’un mois. Deux ans plus tard, les syndicalistes attendent toujours cette réponse. Pour protester contre cet état de fait, des cadres syndicaux décident d’organiser un rassemblement de protestation devant le ministère du Travail ; la police embarque tout le monde pour quelques heures. Février 2012, les femmes algériennes organisent un rassemblement devant le CHU Nafissa-Hamoud, pour protester contre la précarité dont, en tant que femmes, elles sont les principales victimes (elles sont effectivement les plus nombreuses à travailler dans le secteur de la santé et donc les plus soumises aux contrats précaires). Avril 2012, toujours dans le secteur public, à l’appel de la Fédération de justice – affiliée au Snapap 3 – c’est le personnel de justice (greffiers et auxiliaires de justice) qui se met en grève. Quatre mois ! Sans aucun résultat : certains militants poursuivront le mouvement dans la foulée par une grève de la faim, sans plus de résultat que de nouvelles promesses toujours non tenues. Précisons que le Snapap revendique une autonomie complète par rapport au pouvoir et aux organisations politiques, même se disant démocratiques ou de gauche. Cette indépendance n’a évidemment pas l’heur de plaire au pouvoir, qui a utilisé une de ses méthodes préférées : le clonage. Kézako ? Il s’agit de faire pression sur certains membres du syndicat (menaces physiques, chantage, corruption) afin de leur faire créer un syndicat concurrent plus bienveillant envers le patronat et le gouvernement. C’est ainsi qu’est né le Snapap Bis. Dans le même temps que les militants du Snapap se faisaient expulser de leur local, le Snapap Bis se voyait lui, octroyer une généreuse subvention gouvernementale. On n’est jamais trop bon avec ses alliés objectifs 4.

La presse aux ordres
La presse est toujours plus ou moins sous contrôle et certains titres participent à l’entreprise de décrédibilisation des syndicats autonomes. Les services de police ont brillamment fait leur devoir, refoulant les participants louches. Ainsi, en février dernier, une réunion d’associations de précaires et chômeurs du Maghreb était organisée à Alger et le journal La Nouvelle République se félicitait que ce colloque « douteux » n’ait pu se tenir et du fait que « les services de police ont fait brillamment leur devoir en refoulant les divers participants marocains, tunisiens et mauritaniens, qui s’avéraient être pour le moins louches ». « Louches », voilà un argument qui ne l’est pas ! Il est même irréfutable et définitif, et vaut toutes les démonstrations. Pas de quartier, la police algérienne arrêta sur l’aéroport même, les participants étrangers venus assister à ce colloque.
Mais rien n’y fait, ni les intimidations ni les arrestations, et les mouvements sociaux s’enchaînent en Algérie. Dans le privé aussi les travailleurs précaires s’organisent et revendiquent de meilleures conditions de travail et des salaires décents, malgré les situations propres au secteur privé, comme par exemple sur les sites d’exploitation d’hydrocarbures appartenant à des multinationales occidentales, et dont la sécurité est confiée à des entreprises algériennes aux mains des généraux du pays. Pas question de partage des richesses.
On comprend mieux pourquoi le Printemps arabe ne risque pas de déboucher sur une fraternité armée/peuple. L’armée n’a pas seulement le pouvoir politique, mais également économique. Pas question de partage des richesses, même si le gâteau (gaz et pétrole) est énorme.

Syndicalisme institutionnel
Aux antipodes des syndicats autonomes nous trouvons l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA) 5, qui est une illustration parfaite de ce qu’est une courroie de transmission avec un parti politique (a fortiori quand ce parti est au pouvoir). Pendant toutes les années où l’UGTA était l’unique syndicat autorisé, son rôle a consisté à freiner toute lutte ou mobilisation contestant la politique gouvernementale. Le syndicalisme autonome a brisé ce monopole notamment dans l’éducation, la santé, les collectivités territoriales… mais l’UGTA garde la main (pour le moment) dans le secteur privé où le syndicalisme autonome n’est pas légalisé. Malgré tout, l’UGTA se décrédibilise chaque fois un peu plus comme lors du 30 septembre dernier où son secrétaire général, Abdelmadjid Sidi Saïd, participa et contribua à la réunion de création de la Coordination patronale algérienne (CPA) 6. Imaginons un peu qu’en France la CGT ait participé à la création du Medef…

La lutte des classes nuit à l’intégrité du pays
Il faut préciser qu’Abdelmadjid Sidi Saïd est plus que conciliant avec les patrons d’entreprises et le président Bouteflika dont il aime rappeler qu’il est son ami. Au point d’en oublier systématiquement la défense des intérêts des travailleurs et la lutte des classes qui, c’est bien connu, nuit à l’intégrité du pays.
Le constat est toujours le même dans ce pays, comme dans tous ceux qui ont accédé à l’indépendance : en fait de libération du peuple, on ne voit que le remplacement d’une bourgeoisie coloniale par une bourgeoisie nationale qui n’oublie pas de faire des affaires juteuses avec l’ancienne puissance occupante. L’émancipation des travailleurs peut bien attendre, c’est le cadet des soucis des nouveaux maîtres du pays plus préoccupés de museler toute forme d’opposition, à commencer par celle des syndicats autonomes.
El Moujahid, journal du FLN, longtemps parti unique et dont les tenants du pouvoir actuel sont tous issus, porte toujours en sous-titre de sa une : « La révolution par le peuple et pour le peuple. » Par le peuple, ça, c’est sûr. Pour le peuple ? Le chemin est encore long, mais les syndicats autonomes s’y sont déjà engagés.






1. Voir « Algérie : ça branle dans le manche », in Le Monde libertaire, n° 1677 (14 au 20 juin 2012).
2. Informations données par le Comité international de soutien au syndicalisme algérien (Cisa : www.cisa-algerie.com).
3. Syndicat national autonome du personnel de l’administration publique (créé en 1990).
4. Informations données par la CGT espagnole (groupe de travail pour l’Afrique du Nord).
5. Syndicat national officiel créé en 1956.
6. Coordination regroupant sept organisations patronales.