La science n’est pas une politique exacte

mis en ligne le 4 juillet 2013
« L’importance d’éviter les amalgames entre sciences et idéologies est fondamentale parce que ne pas le faire, c’est ne pas valoir mieux que le démagogue, le sophiste ou l’individu lambda qui avale sans rechigner ce que les deux premiers lui envoient de force dans le gosier. La science n’est pas "parcourue d’idéologies", qu’elles soient réactionnaires, dominatrices ou autres, pas plus qu’il n’y a d’idéologies scientifiques. » Loïc Magrou, dans Le Monde libertaire n° 1711.
Je suis bien d’accord sur le fait que les idéologies puissent utiliser des faits scientifiques, des morceaux de théories, des faits isolés pour justifier n’importe quoi. Aucun camp n’échappe à ce travers et des générations d’opposants au système, moi compris, ont pu tenir des propos fort bien argumentés « scientifiquement », « historiquement prouvés ». La recherche, les études de terrain, les progrès dans l’analyse et le temps ont parfois fait le tri entre le réel et le fantasmé. De là à dire que la science n’est pas parcourue d’idéologies et que l’on peut éviter les amalgames entre sciences et idéologies… L’histoire des sciences n’est que cela ! Ce qui n’a pas empêché les sciences de progresser.
D’aucuns me reprochaient doctement, tantôt, de ne pas dissocier écologie (scientifique) et écologie politique (écologisme, si ça vous fait plaisir). Ce qui m’importe, c’est d’utiliser tous les travaux scientifiques qui existent pour démontrer ce qui, dans le fonctionnement économique, politique, écologique, de nos sociétés est à révolutionner. J’aimerais bien que quelqu’un me prouve que la profusion de travaux scientifiques sur l’écologie de ces dernières décennies n’est pas directement liée à une prise de conscience « idéologique ». Il y a du vrai et du faux ? Oui. Certains sont orientés. Il y a des arnaques ? Oui. Les politiciens écolos ne remettent pas en cause le capitalisme et peuvent être (consciemment ou non) sa bouée de secours. Mais ce qui m’importe c’est comment leur travail (celui des écologistes, dans les deux sens du terme) sert la dénonciation de sociétés d’exploitation, de pollution, de gaspillage des ressources, de misère… Les profiteurs du capitalisme vert tireront-ils leur épingle du jeu face aux catastrophes annoncées ? À nous de les en empêcher, sans faire de l’écologie politique et de ses militants, fatalement, mécaniquement, de nouveaux « traîtres sociaux-démocrates ».
Il y eut des zoologues croyants, des géologues chrétiens, des abbés préhistoriens. Fallait-il les vilipender, contester toute crédibilité à leurs travaux ? Ils œuvraient, de fait, contre leur camp affiché, l’Église et ses dogmes, « la Terre a six mille ans » et autres inepties… La lutte entre foi et raison, c’était peut-être difficile à vivre, il leur fallait assumer un paquet de contradictions, mais ils ont fait avancer la science contre l’Église. Au XIXe siècle, l’Église dominante tenta de christianiser la science, mais, au XXe siècle, ce sont les croyants qui furent « scientisés ». Il n’y a pas que les opposants purs et durs au système qui travaillent à sa chute. Bien heureusement !
J’ai consacré plusieurs chroniques aux retraites, d’après les travaux du réseau Salariat. Sous couvert d’une argumentation « mathématique, imparable », dans laquelle tous les paramètres ne sont pas pris en compte, on établit un dogme : il y a un problème des retraites. Le débat est faussé d’emblée si l’on accepte ce dogme, que peu de gens se donnent la peine d’aller vérifier. Toute la discussion entre « partenaires sociaux » n’est plus que la recherche de solutions à un faux problème. Sous couvert économico-scientifique, c’est de la propagande. De l’idéologie.
En conséquence directe, et pour terminer cette série de chroniques, je vous fais part d’un principe qui m’est apparu soudainement ces derniers jours, un principe fondamental, tellement simple que je me foutrais des baffes de ne pas y avoir pensé plus tôt : il faut diviser l’ennemi. Rien de bien neuf sous le soleil, c’est ce que l’ennemi fait avec nous tous les jours depuis des siècles. Alors pourquoi n’en tirons-nous pas la leçon pour lutter contre lui ? Le manœuvrer, le manipuler, le faire travailler à répandre nos idées. La propagande est un miroir. Ceux qui s’en servent pour s’y mirer sont dans le mirage, à flatter leur narcissisme. La propagande est un miroir dans lequel les autres doivent se voir, et notre gros problème, c’est qu’ils ne se voient pas dans la nôtre ! Notre propagande devrait refléter leurs aspirations, leurs désirs et les contradictions à les vivre dans ce système. Elle n’est souvent que proclamation adolescente de notre amour de nous. Pas un texte, pas un article, pas un visuel ou une chanson ne devrait être créé, dans un esprit militant, sans avoir en tête qu’il s’agit de détacher de l’idéologie dominante, de l’adhésion au système, des individus, des groupes, des masses. Pas de nous faire plaisir. Empathie, pédagogie, bon sens ou finesse d’esprit. Ce ne serait peut-être plus de la propagande, mais cela serait autrement plus efficace.