Plantes GM : piège à cons, les cafards se rebiffent

mis en ligne le 12 septembre 2013
S’il est un débat extrêmement houleux, c’est bien celui sur ces OGM que sont les plantes génétiquement modifiées (PGM). Les pro-PGM (qu’ils soient industriels, agriculteurs, scientifiques, politiciens, médiacrates) regardent avec mépris les opposants aux PGM, décrits comme des rétrogrades obtus, refusant les bienfaits d’une modernité étincelante… S’il est vrai que les arguments de certains « anti » peuvent parfois voler aussi bas qu’un ver de terre, la question des modalités agriculturales que l’on peut souhaiter afin d’assurer tout à la fois la plénitude alimentaire et le respect de l’environnement est si importante que ces querelles confinent trop souvent à l’absurde ; la suffisance des premiers n’ayant d’égal que l’idolâtrie de la « Nature » (avec un grand N) des seconds. Je serai clair : pour moi, le combat contre les plantes OGM 1 doit principalement (mais bien sûr pas exclusivement) se dérouler sur deux plans : 1° celui de la critique de l’agro-industrie, de ses multinationales prédatrices et de leur impérialisme des pratiques agricoles ; 2° celui des alternatives rationnelles à cette agriculture dévastatrice (en ressources énergétiques, génétiques, en eau, etc.), bref être une offensive contre l’économie de marché et ses diktats, notamment à propos de la brevetabilité du vivant, de la spéculation alimentaire et de l’assujettissement des petits paysans aux firmes semencières. Et de ce point de vue, le débat est tranché : ces produits de l’agro-industrie sont inutiles et néfastes ; ils n’ont pas pour vocation réelle, contrairement au marketing bien huilé des firmes et de leurs affidés, la performance agricole et la lutte contre la famine, mais la profitabilité maximale – rente et dividendes étant les deux mamelles de cette agrocynisme. Les questions relatives à la toxicité des PGM (pour ceux qui les ingèrent), à la pollution génétique et à la diminution de la biodiversité sont bien sûr importantes, mais elles sont, pour des raisons trop longues à décrire ici, moins décisives en l’état actuel des connaissances – pour certaines d’entre elles. Et pour être totalement clair, j’ajouterai que je ne suis pas un opposant systématique aux OGM – c’est pourquoi j’insiste dans cet article sur le terme « PGM » pour bien le distinguer du terme générique « OGM », qui recouvre des organismes très divers pour lesquels les problèmes et questionnements ne sont pas systématiquement les mêmes – et plus largement aux biotechnologies ; il suffit de penser, pour donner un exemple rapide, aux bactéries GM en milieu confiné qui servent à produire massivement et à moindre coût l’insuline dont les diabétiques ont besoin pour vivre.
Toutefois, un nouvel élément à caractère scientifique est à verser au dossier du système socio-technique que sont les PGM : la mise en évidence sur des champs de maïs et de coton GM que ces plantes ne sont même pas capables de remplir pleinement le rôle qu’on leur assigne, à savoir lutter contre les insectes nuisibles par leurs propres moyens 2. Bien évidemment, les médias de masse 3 ne facilitent pas la compréhension de ces débats scientifiques, sociétaux, politiques ; que l’on se rappelle l’exemple récent du traitement médiatico-merdique de ce qui fut appelé l’affaire Séralini, affaire perdue dans le puits sans fond des engouements médiatiques sans lendemain…

L’étude OGM Bt
Une étude de grande portée vient d’être publiée dans la revue Nature Biotechnology montrant qu’une proportion significative des insectes censés être décimés par les PGM secrétant des toxines insecticides (appelées dans ce cas Bt4) devient résistante à ces toxines, par un effet de sélection naturelle (au sens darwinien du terme). Phénomène proche de ce que l’on connaît avec l’utilisation intempestive des antibiotiques qui sélectionnent des souches de bactéries devenant alors résistantes à ces mêmes antibiotiques, limitant ainsi drastiquement leur efficacité. On pouvait d’ailleurs anticiper ces effets de sélection par simple analogie avec le système antibiotiques/germes. Les promoteurs des PGM ne sont pas dupes ou ignorants de cela, disons que généralement ils « oublient » de parler de ce « petit » détail…
Mettant en exergue des résultats déjà connus mais de moindre portée statistique, cette méta-analyse 5 apporte de sérieux arguments au sujet de la résistance des insectes nuisibles à la toxine des OGM Bt ; elle a été établie pour cinq espèces d’insectes ravageurs de plantes sur les treize les plus connues. Une étude de 2005 montrait qu’une seule espèce était devenue résistance, ce saut quantitatif en si peu de temps est donc très éloquent. Entre-temps, les surfaces cultivées avec du maïs et du coton GM Bt ont fortement augmenté (le maïs Bt représente entre 79 et 95 % du maïs planté en Australie, Chine, Inde, aux États-Unis en 2010-2012), ce qui a provoqué ce qu’on appelle une pression de sélection sur les insectes censés être combattus par les PGM en cause. L’étude avait notamment pour but, outre de montrer le développement de ces résistances, d’analyser les raisons des différences de résistances et de vulnérabilité selon les zones géographiques, les taux et vitesse d’évolution de ces deux paramètres. Entre autres enseignements, là encore pas inédits, mais solidement étayés, cette étude montre qu’un des moyens de limiter ce défaut majeur est de placer les cultures GM à proximité de zones dites refuges, plantées en végétaux non GM, où les insectes non résistants peuvent batifoler et se reproduire avec les insectes résistants, en espérant une dilution génétique, qui rendrait à nouveau majoritairement non résistantes les populations d’insectes présentes dans ces champs. Notons encore que la surface de ces zones tampons doit être proportionnelle à la baisse de l’efficacité des PGM. L’étude montre aussi que ces PGM Bt présentant, de fait, une absence de variabilité génétique, ne sont pas efficaces de manière homogène, et leur aptitude à combattre les insectes ravageurs est modifiée par le lieu où elles sont plantées, avec des taux d’efficacité insecticide pouvant chuter fortement là où 1° les conditions biotiques (c’est-à-dire le milieu vivant où se fait la culture) ne sont pas adéquates pour la PGM en cause et où 2° les conditions agriculturales – contraignantes – ne sont pas mises en œuvre en tenant compte des recommandations des producteurs de ces OGM – notamment le besoin de créer des zones refuges telles qu’évoquées plus haut. Il y a ainsi de fortes différences d’efficacité entre les États-Unis d’une part, la Chine et l’Inde de l’autre. Etc.
Les modélisations et les observations de terrain indiquent que l’acquisition de la résistance aux toxines Bt produites par le maïs OGM prend entre deux et quinze ans, selon les circonstances. Soit des périodes très courtes, à l’échelle des activités humaines. Lutter contre cet effet se fait au prix d’un investissement scientifique, technologique, industriel, financier, etc., d’une ampleur considérable, sans compter les aspects sociétaux, en termes de droit, de démocratie, d’autonomie des choix des populations, etc. De quoi, somme toute, ne pas fantasmer comme des bêtes sur les bienfaits prétendument inégalables d’une filière techno-industrielle dont la propension à pratiquer la fuite en avant et l’aventurisme technique est démesurée.

Le tour de passe-passe
Évidemment, la contre-argumentation des zélateurs des PGM est prévisible : ces plantes sont améliorables, toujours par transgenèse 6 ; il suffit donc de les améliorer (par exemple pour qu’elles expriment plusieurs protéines toxiques au lieu d’une, et en plus forte concentration) et le tour est joué. Ce qui est déjà le cas avec des PGM présentant deux gènes différents pour secréter deux versions de la toxine Bt, ce qui fait que si l’une est de moindre efficacité, il est peu probable que l’autre le soit également. D’autres biotechnologies encore plus pointues (ARN interférents, par exemple) sont envisagées, par exemple doter une plante – toujours par transgenèse – de gènes codant une protéine toxique pour l’insecte à combattre, mais au lieu d’insérer un gène « naturel », on pratique l’insertion d’un gène artificialisé, de sorte qu’il code une protéine aux propriétés conçues par les entreprises de biotechnologie. De fait, toutes les interrogations et expectatives quant à la dangerosité biologique des PGM s’en retrouvent amplifiées, alors même que le débat n’est pas tranché au sujet des PGM « classiques ». Le processus de course-poursuite entre la plante à protéger et l’insecte à dézinguer est enclenché de manière sidérante. Cela s’appelle la « course à l’armement » : on se défend avec une arme A, l’agressé contre-attaque, on se défend alors avec une arme A+, l’agressé contre-attaque, on prend alors une arme A++, etc., etc., dans un cycle qui peut continuer longtemps (sauf extinction de l’un des protagonistes). C’est un processus on ne peut plus fréquent dans la nature, mais qui se déroule généralement sur de très longues périodes. Ici, tout serait amplifié et démultiplié, sans raison essentielle. De plus, ces résistances des insectes aux toxines issues de PGM obligent alors les agriculteurs à pratiquer… des pulvérisations insecticides de synthèse, justement ces produits dont la propagande pro-OGM prétend réduire l’usage. Après tout, vendre des semences GM et des insecticides de synthèse fait partie du même bizness. Bref, pour que « ça marche », il faut un marteau-pilon pour écraser des mouches…

Pesticides à gogo
Hasard des publications, cette étude sort peu après la deuxième partie d’un rapport consacré à l’exposition de la population française aux substances chimiques de l’environnement, en l’occurrence les pesticides 7. « Il s’agit de la première étude d’imprégnation de la population adulte par plusieurs substances chimiques en France. » « Les données présentées dans cette étude constituent un état initial qui permettra, par la répétition dans le temps de tels travaux, d’évaluer les tendances de l’imprégnation de la population française par ces substances chimiques de l’environnement. »
Cette enquête met en évidence les effets à long terme de l’imprégnation du corps humain par de nombreuses substances chimiques – on y retrouve en effet des taux significatifs de certains produits pourtant interdits depuis près de trente ans – ; mais aussi que les mesures d’interdiction des substances dangereuses, nonobstant ce temps de latence plus ou moins long selon les produits, sont efficaces. « L’héritage historique de la pollution par les PCB reste marqué en Europe et en France. Pour les pesticides organochlorés, les mesures d’interdiction et de restriction d’usage semblent montrer leur efficacité ; il conviendra de vérifier leur efficacité, notamment en ce qui concerne certains chlorophénols. Une attention particulière doit être portée aux pesticides organophosphorés et aux pyréthrinoïdes [la famille d’insecticides la plus utilisée actuellement en France] pour lesquels les niveaux français semblent être parmi les plus élevés en référence à des pays comparables. »
La conséquence politique d’une étude de ce genre est que les pouvoirs publics ne doivent jamais tarder à user d’efficaces mesures de coercition et à inciter au développement de filières et des procès industriels utilisant des procédés alternatifs (dans l’agriculture, le bâtiment, l’électronique, etc.). On espère ne pas avoir à douter de la célérité des instances concernées quant à la mise en place de telles mesures pour les produits les plus préoccupants…

Conclusions
D’un côté une nouvelle étude suggérant fortement que les PGM ne sont pas la panacée que l’on nous promet pour limiter drastiquement les pesticides de synthèse (ici des insecticides), de l’autre une étude qui alerte sur les dangers à long terme de l’utilisation abusive de ces substances. Les pro-PGM possèdent certes l’atout de provoquer l’illusion du clinquant, celui de pouvoir clamer que davantage de PGM égale moins de pesticides de synthèse, et donc que l’usage intensif des PGM est une mesure de salubrité publique ; il est néanmoins patent que des études comme celle que j’ai mentionnée plus haut s’avèrent être les indices convaincants que le ver est dans le fruit, que ces promesses sont indues et que la fascination exercée par ces solutions technolâtres est suspecte. Autre conclusion cruciale : la recherche et surtout la promotion d’alternatives crédibles à ces techniques agriculturales à haut risque sont une nécessité absolue.
Ces deux nouvelles scientifiques (et « politiques »), elles aussi ravalées loin derrière les récits angoissés des piètres résultats du PSG qui font le quotidien des médias susmentionnés, sont donc d’une grande importance, même si elles ne sont pas totalement inédites ; on peut considérer qu’elles se conjuguent avec force pour signifier que les deux piliers de l’agriculture intensive – OGM et abus de pesticides de synthèse – sont des impasses dangereuses et trompeuses lorsqu’elles installent à leur entrée d’énormes panneaux lumineux indiquant « Ici on rase gratis ». Des pièges à cons…











1. La question de pose avec moins d’urgence pour les animaux GM, mais la vigilance s’impose. Voir le livre de Léo Coutellec, De la démocratie dans les sciences, Éditions Matériologiques, 2013, dans lequel il rend compte des efforts d’industriels américains pour imposer la production de saumons GM, ce qui serait alors une porte ouverte à la production d’autres animaux industrialisés GM.
2. Voir Stéphane Foucart, « Les insectes survivent de mieux en mieux aux OGM », LeMonde.fr, 12 juin 2013, lequel s’appuie sur un article de Bruce Tabashnik, Thierry Brévault & Yves Carrière, « Insect resistance to Bt crops : lessons from the first billion acres », Nature Biotechnology, 31(6), juin 2013, que je commente ici.
3. La partie massive, la plus visible, celle qui construit l’opinion, la doxa, via les JT, les chaînes info, les unes clinquantes des news magazines, les pseudo-débats entre politicards et éditorialistes connivents ou artificiellement antagonistes, etc. Voir sur un plan général l’analyse récente de Richard Monvoisin, « La vulgarisation fabrique du consentement », LeMonde.fr, 20 juin 2013. Cependant, on peut trouver dans les interstices du grotesque barnum « médiarchique » des informations pertinentes, tel l’article de Stéphane Foucart.
4. Bacillus thuringiensis, bactérie qui secrète naturellement des composés mortels pour certains insectes.
5. Étude statistique combinant les résultats de nombreuses études ponctuelles et indépendantes. Ici sont compilées 77 études portant sur huit pays.
6. L’incorporation d’un gène d’intérêt dans un organisme auquel on veut conférer une fonctionnalité particulière.
7. Nadine Fréry et al., Exposition de la population française aux substances chimiques de l’environnement, tome II : Polychlorobiphényles (PCB-NDL) et pesticides, Saint-Maurice, Institut de veille sanitaire, 2013. Disponible sur le site invs.sante.fr.



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


Chimel

le 25 septembre 2013
Les OGM ne sont pas la panacée, c'est certain, mais ils remplacent des pesticides bien plus toxiques, le bilan est donc positif, au moins tant que ça marche. Distinguer les plantes et bactéries GM est une bonne chose, mais j'irai plus loin, en distinguant les types de protéines (insecticide Bt et herbicide R/R ou L/L) ou les types de modifications (transgénèse entre différents genres végétaux ou animaux, ou cisgenèse au sein de la même famille). Chaque OGM est un cas particulier, il ne peut donc pas y avoir de condamnation unique de la technologie.

Je suis par exemple opposé au riz doré (riz avec carotène) car le réel problème n'est pas une carence en vitamine mais un problème de malnutrition que ce riz OGM ne résout pas, mais la rouille du blé est un problème urgent pour l'Afrique (et dans une moindre mesure pour l'Australie) et les orangeraies de Floride sont également sérieusement dévastées. Une sélection conventionnelle prend des décades pour le cas d'arbres fruitiers. Une nouvelle variété OGM peut être déployée en quelques années seulement, ce qui laisse le temps de développer une sélection conventionnelle de remplacement, un nouveau greffage ou d'autres moyens de lutte.

Chimel

le 25 septembre 2013
Il existe seulement 4 études toxicologiques OGM de longue durée (une ou plusieurs générations sur 2 ans ou plus), mais la toxicité des OGM semble inexistante. Cet idiot de Séralini a saboté sa propre étude en n'utilisant que 10 rats par échantillon ce qui ne permet aucune statistique valide (comme Monsanto, mais ce n'est pas une raison), en publiant deux films et un livre anti-OGM juste après son étude, et en gardant secrets les spécifications de ses expériences, ce n'était vraiment pas la peine de passer 2 ans pour rien.

Le problème le plus important pour moi est la main mise des sociétés biotechnologiques sur ces plantes. Les gènes devraient être du domaine public et ce genre de recherche devrait être effectué par l'INRA, par exemple.

Excellent article en tout cas, approfondi et bourré de références à explorer.

Chimel

le 25 septembre 2013
Commentaire coupé en 2 parce que LML n'autorise que les tweets. ;)
Et en plus le message d'erreur qui indique que le commentaire est trop long disparaît avant de pouvoir remonter à l'endroit où il s'affiche. Webmestre, que fais-tu ?