Le turbin comme cercueil

mis en ligne le 18 septembre 2013
1715ExproprionsAlors ? 150 000 ? 370 000 ? Toujours la même bataille des chiffres après les manifestations contre la nouvelle « réforme » des retraites de la semaine dernière. Après la rentrée des classes, c’est la rentrée sociale. Comme chaque année, les centrales syndicales remobilisent leurs troupes pour se compter et tenter de relancer les luttes en cours. Cette fois, c’est donc cette réforme qui est à l’ordre du jour. « Réforme » avec des guillemets, puisque ce mot qui, autrefois, avait le sens d’amélioration des conditions de vie veut, aujourd’hui, dire exactement le contraire : à chaque « réforme » (services publics, Code du travail, etc.), les acquis sociaux des travailleurs se réduisent comme peau de chagrin.
Or, donc, CGT, FO, Solidaires, FSU nous invitaient à battre le pavé pour nous opposer à ce projet du gouvernement de gauche, tout comme il y a trois ans contre celui du gouvernement de droite. En guise de rentrée chaude, nous avons eu – comme nous le prévoyions dans notre édito du Monde libertaire précédent – une rentrée plutôt tiède. Tiède, mais pas catastrophique : plus de monde apparemment que contre l’Accord national interprofessionnel (ANI). Si on est loin des millions de manifestants défilant contre le projet du gouvernement Sarkozy sur les retraites, on est quand même à quelque 300 000 manifestants contre celui du gouvernement Hollande. Évidemment, cette fois-ci, on n’allait pas voir défiler le PS ou les Verts, ni non plus la CFDT, plus encline, ces derniers temps, à manier le stylo pour signer des accords de compromission qu’à revendiquer dans la rue. Quant à occuper les entreprises, n’en parlons même pas ! Et, pourtant, les problèmes sont toujours là ; droite ou gauche la perspective est la même : plus de trimestres à accomplir, moins de retraite à toucher.
Pour la jeunesse, à qui on fait croire que de longues études débouchent forcément sur un emploi, l’horizon est clair : avec des études poursuivies jusqu’à 25-26 ans, puis avec quarante-deux ans de cotisation à la caisse retraite, la fin de carrière ne risque pas d’arriver avant l’âge de 67 ans, bientôt 70. Quant à ceux qui galèreront entre stages mal payés ou même non rémunérés, CDD à répétition et occasionnels, chômage de plus ou moins longue durée, à quel âge pourront-ils accéder au fameux taux plein ? Quelles solutions proposées ? L’auto-entreprenariat, c’est-à-dire l’auto-exploitation, avantages sociaux en moins 1 ? Et les femmes, qui accumulent les temps partiels pour pouvoir en même temps élever leur progéniture (car ce sont toujours elles qui s’en occupent dans l’immense majorité des cas quand il y a couple, et a fortiori quand elles sont seules) ? Sûr qu’il n’y aura pas assez de trimestres cotisés avant longtemps : les futures mamies risquent fort de troquer le fauteuil devant la télé contre le déambulateur pour se rendre au chagrin.
Les experts de tout poil au service de la classe dirigeante – quelle qu’elle soit – n’arrêtent pas de nous seriner que la donne a changé en raison de l’allongement de la durée de vie. Ils oublient de retenir la notion d’espérance de vie en bonne santé, ce qui ferait évidemment ressortir la disparité entre les professions suivant leur pénibilité. Là-dessus le gouvernement actuel l’a joué fine en proposant de tenir compte de ce critère, même si ça risque d’être parfois délicat à déterminer : travailleurs du BTP, personnel hospitalier surchargé, c’est évident, conducteurs de bus, enseignants stressés, informaticiens harcelés car tenus au résultat, ça l’est moins. En attendant, nos dirigeants socialistes misent sur une future croissance qui permettra de réduire le chômage, mais pas de mettre fin à l’exploitation capitaliste dont ils sont de parfaits gestionnaires. Et ce que la droite a commencé à mettre en œuvre depuis Balladur jusqu’à Sarkozy, gageons que la gauche va le parachever peu à peu, puisque le « marché » l’exige, qu’on « ne peut pas faire autrement ». De même que cette gauche, dans les années Mitterrand, a largement poursuivi l’entreprise de démolition de la sidérurgie entamée sous Giscard d’Estaing.
Parmi le « peuple de gauche », il y a de moins en moins de dupes, mais les centrales syndicales institutionnelles reprennent la même stratégie inefficace d’il y a trois ans : une journée d’action (la mal nommée) par semaine ; le 10 septembre, la CGT donnait rendez-vous aux jeunes salariés pour le… 18. Alors, quoi ? De futurs appels à descendre dans la rue saupoudrés jusqu’à épuisement de la contestation ? À ce rythme-là, les possédants peuvent dormir tranquilles, le système capitaliste a encore de beaux jours devant lui. À moins que les déçus du socialisme ne retrouvent le chemin de la grève générale avec occupation des entreprises et expropriation de leurs patrons… Si besoin, nous avons quelques suggestions radicales à leur faire à ce propos.









1. Lire à ce sujet Le Monde libertaire hors-série n° 51 consacré au monde du travail, paru la semaine dernière, en vente dans les kiosques et à la librairie du Monde libertaire.



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


11453Chini

le 24 septembre 2013
Joe le Chat

Merci pour cet article plein de lucidité et surtout de compétence. Je suis très inquiet à 63 ans pour mes enfants, et tous les jeunes qui n'ont pas la chance de vivre dans un monde égalitaire. Ce monde égalitaire, j'ai milité pour lui, avec mes modestes moyens depuis 1975, date où j'ai été nommé par la CGT membre de la Commission Exécutive du Livre.

J'ai tenu 2 mois ! Il m'a été reproché d'être "anti directionnel" par la ligne du syndicat, avec toujours les mêmes arguments : antinucléaire en premier, (c'est-à-dire de dénoncer une société de masse et ultra policière), de ne pas être en phase directe avec les travailleurs et le syndicat lui-même, ne pas voir les choses d'une manière positive, et de me situer du côté contraire de la lutte des classes.etc. etc.

Je ne crois plus depuis longtemps aux syndicats. La pire des
indécences pour les travailleurs a été faite par la CFTD. Je bossais alors dans une mairie socialiste. 1990. J'ai pu voir la pire des bourgeoisie se la jouer prolétaire. J'ai été vaincu car je n'avais pas pris la bonne carte : celle du PS., mais celle du PC par désespoir.

Et du PC lui-même aussi, cela n'a pas tenu. J'ai essayé de parler d' autogestion, en essayant de dire et de prouver que c'était une ligne où l'homme pouvait apprendre à se connaitre lui-même, avant que de vouloir faire la révolution et imposer ses erreurs sur autrui. Peine perdu.

Je pense, peut-être suis-je défaitiste, que ce n'est pas cette société qui changera, mais vu les problèmes de plus en plus grandissants de notre pauvre planète exterminée par un capitalisme mortifère, que c'est-'elle se chargera de nous liquider.

Où alors oui, vite avant qu'il ne soit trop tard, la grève générale. Mais de cela aussi je doute. Le Peuple a encore trop de matérialiste à perdre.

Bien à Vous avec Fraternité