Les sublimes canailles

mis en ligne le 27 juin 2013
Pour la seconde fois du mandat présidentiel de François Hollande, tout ce que la France compte, dans ses hautes sphères, de leaders en tout genre de l’organisation de la paix sociale se sont réunis pour blablater deux jours durant de sujets sociaux. La première fois, les 9 et 10 juillet 2012, la réforme du marché du travail était à l’ordre du jour, et ça nous a donné, à terme, le fameux accord national interprofessionnel (ANI) : mobilité forcée, licenciements plus aisés, justice prud’homale écornée, ébauche d’un CDI intermittent. Cette fois-ci, la conférence sociale – qui s’est tenue les 20 et 21 juin dans le palais d’Iéna (un de plus qu’il faudra qu’on brûle !) – s’est attaquée au « problème » des retraites. On avait déjà eu un avant-goût des résultats des « travaux » (mais y en a-t-il vraiment ?) avec les accords signés en mars sur les régimes complémentaires, lesquels entérinaient une baisse considérable du pouvoir d’achat des retraités. Dès leur ratification, le gouvernement socialiste avait en effet annoncé sans sourcilier qu’il comptait s’en servir de base pour réformer le régime général…
Avant la tenue de la conférence, la CGT et FO s’étaient montrées fermes : pas question de toucher à l’âge de départ à la retraite (sauf si, j’imagine, il s’agissait de l’avancer). Jean-Claude Mailly, le leader de FO, avait même déclaré quelques jours avant que « le ton serait plus dur que l’an passé », quand Thierry Lepaon, secrétaire générale de la Cégète, promettait une mobilisation sociale d’ampleur en septembre. L’ex-salarié de Moulinex s’était même laissé aller à une sympathique métaphore pour résumer la situation à la veille de la conférence : « Dans la boîte à outils, je ne vois qu’un marteau et une enclume, et entre les deux il y a les salariés et les retraités. » La CFDT – toujours désireuse de devenir le partenaire social number one du gouvernement – s’était pour sa part montrée plus clémente, son patron, Laurent Berger, se déclarant pour un allongement de la durée de cotisation (arguant, bien sûr, des déficits des régimes de retraite). En gros, on pouvait prévoir que tout ce beau monde nous rejouerait le scénario de la précédente. Et que chacun repartirait satisfait d’avoir joué son petit rôle. Car, nous ne leurrons pas – et nous l’avons déjà plusieurs fois exprimé dans ces colonnes –, les attitudes légitimement intransigeantes affichées par la CGT et FO ne sont jamais qu’une manière d’exister. Autrement, les actes auraient suivi les discours et l’ANI ne serait pas passé comme une lettre à la Poste (quoi que les lettres à la Poste peuvent aussi parfois sacrément galérer).
Mais qu’est-il donc ressorti, au final, du palais d’Iéna ? François Hollande en a annoncé la couleur dès l’ouverture de la grand-messe en brandissant l’étendard de l’inévitable nécessité d’un allongement de la durée de cotisations. Celui qui, durant la campagne pour l’élection présidentielle, s’était fait le héraut de la défense des retraites contre la réforme Fillon illustre bien ainsi la vacuité des processus électoraux, englués dans l’hypocrisie et le mensonge. (On se rassurera cependant comme on peut en prenant acte de la volonté du gouvernement de ne pas remettre en cause le principe d’un régime de retraites par répartition.)
Du côté du Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, on a surtout vanté les grandes réalisations de cette première année de quinquennat, lesquelles riment avec rigueur budgétaire (faudrait pas non plus dire « austérité ») et compétitivité. Ainsi, l’amateur d’aéroport s’est félicité du crédit impôt pour la compétitivité et l’emploi (rejeton du rapport Gallois) et, of course, de l’ANI. On ne saurait toutefois en dire davantage, tant cette seconde réunion ne semble avoir servi à rien. Hormis l’annonce de « décisions courageuses à prendre » pour « restaurer la confiance des Français dans notre système [de retraites] », le gouvernement n’a pas dit grand-chose d’autre. Adepte des discussions interminables, il a juste précisé qu’il organiserait le 4 juillet prochain des rencontres dites bilatérales pour s’entretenir avec les organisations syndicales et patronales… On ne sait pas encore dans quelle luxueuse demeure le président recevra les partenaires sociaux, mais c’est lors de ces petites réunions que se jouera vraiment le contenu de la réforme prévue pour avant la rentrée (nous referaient-ils le coup Balladur de 1993 ?).
Les retraites n’ont toutefois pas été le seul sujet abordé lors de cette seconde conférence sociale. Mais si la question du chômage a également été soulevée, ce n’est pour obtenir, au final, aucune réponse satisfaisante, le gouvernement s’étant contenté de promettre une « réflexion commune entre l’État, les régions et les partenaires sociaux au premier trimestre 2014 » et la création de 100 000 emplois d’avenir (la panacée socialiste du moment). Pis, il a surtout abondé dans le sens du Medef en reprenant le discours sur les prétendus 300 000 emplois non pourvus (sans préciser ni le type d’emplois ni les qualifications requises), lequel discours laisse entendre que plusieurs centaines de milliers de chômeurs ne seraient que des tire-au-flanc avides d’allocations. Question salaires, le gouvernement a simplement évoqué l’installation d’un observatoire des rémunérations. Du foutage de gueule, en somme, surtout après l’annonce, quelques jours à peine avant la conférence, d’un nouveau gel des salaires des fonctionnaires en 2014 ! Quant à la protection sociale, rien n’a bien sûr été dit sur la possibilité de nouveaux financements tirés du capital, comme si seuls comptaient, pour trouver du pognon, les quelques deniers résidant au fond des poches trouées des travailleurs.
Bref, ce qui ressort de cette nouvelle rencontre, c’est à la fois rien du tout et la confirmation que, dans la bataille, le gouvernement enfourche le même cheval que le patronat, relayant ses discours et satisfaisant ses désirs. Une fois de plus, le capital pourra donc dormir sur ses deux oreilles : l’État socialiste, épaulé par la CFDT, veille au grain, tandis que les bureaucraties de la CGT et de FO chargent leurs fusils de balles à blanc. L’avenir des salariés est, lui, bel et bien noir, à moins que, sans attendre les improbables directives de nos chefs syndicaux, nous passions à l’action. Car ce que disait John Ford à propos du cinoche vaut aussi pour la question sociale, surtout à l’heure où nos dirigeants nous baladent de discours en discussion, de sommet en rencontre : « Le meilleur cinéma, c’est celui où l’action est longue et les dialogues brefs. »