On ne mondialise pas l’hospitalité : ouvriers de tous les pays, l’Europe vous accueille (à bras raccourcis)

mis en ligne le 30 mai 2013
1708ValereDans la nuit du dimanche 19 au lundi 20 mai, des émeutes ont éclaté à Husby, dans la banlieue nord de Stockholm, du fait de jeunes issus de l’immigration africaine et moyen-orientale. Des voitures ont été incendiées et des policiers caillassés par une cinquantaine de jeunes d’au plus vingt ans. Les nuits suivantes, d’autres incendies ont eu lieu : des voitures, puis des commissariats, des écoles et un centre commercial ont été brûlés. Ces actions se sont, de nuit en nuit, propagées de Husby à l’ouest et au sud de la banlieue ainsi qu’aux quartiers du sud même de la capitale suédoise. À l’heure où ces lignes sont écrites, on compte six nuits consécutives de violences et de dégradations 1.
Ces faits ne sont pas sans rappeler ceux qui avaient eu lieu autour de grandes villes françaises fin 2005, à Bruxelles en 2006, à Villiers-le-Bel en 2007 et à Londres en 2011. Plusieurs points communs apparaissent.
Tout d’abord, les quartiers concernés sont connus pour être pauvres et habités par de nouveaux ou d’anciens immigrés et leurs enfants.
D’autre part, les récits dans la presse locale (Aftonbladet, Dagens Nyheter et Svenska Dagbladet), relayée par la presse internationale, sont comparables. On avance l’hypothèse que la mort par balle d’un homme qui menaçait la police avec une machette dans un appartement de Husby serait à l’origine des émeutes. Une mort provoquée par la police, suivie de témoignages d’émeutiers disant être en lutte contre la police, puis contre le chômage et le racisme, d’autres encore disant clairement ne pas se soucier de l’homme abattu par la police, certains enfin affirmant participer aux incendies par pur ennui. Il est de plus très probable, selon les policiers et les témoignages d’habitants, que des groupes criminels se soient par opportunisme constitués et aient profité des heurts pour vandaliser et piller des magasins, comme c’était le cas en France, en Belgique et au Royaume-Uni.
Plus intéressant : les discours de la droite et de la gauche suédoises à propos de la situation en banlieue de Stockholm ressemblent trait pour trait à ceux auxquels Français, Belges et Anglais ont eu droit. L’Alliance, la droite au pouvoir, appelle à plus de mesures de sécurité et incrimine les cultures « allochtones » 2, souhaitant orienter leur politique d’immigration vers plus de contrôle. La gauche, quant à elle, y trouve une occasion de fustiger la politique de droite qui a conduit à l’augmentation du taux de chômage dans le pays et à la diminution des allocations aux personnes en situation de précarité. Cela dit, ces mesures antisociales avaient été enclenchées il y a plus de dix ans par la gauche et l’indicateur du taux de chômage est souvent un prétexte à tout projet politique rentable, même quand il est nuisible, donnant lieu à un chantage à l’emploi sur la population. En fait, les discours de partis politiques n’apportent que très peu de lumière sur le phénomène des émeutes de banlieues mais restent révélateurs de la mentalité de ceux qui alimentent la confusion générale.
Il peut paraître étonnant que le calme réputé de la société suédoise soit rompu par ce genre d’actualité. Pourtant, l’Europe occidentale applique depuis des décennies un même modèle économique et d’aménagement du territoire en rapport avec l’immigration. Les mêmes politiques hypocrites de court terme ont été appliquées partout : pour les nouveaux arrivants on a construit très vite de bien mauvais logements en bordure des villes, fondant ainsi une ségrégation socio-démo-géographique qui a des répercussions néfastes sur tous les « marchés » : le logement, bien sûr, mais aussi les transports et l’accès à l’éducation, à l’emploi, mais surtout à des conditions de vie décentes. Les grands perdants de cette ségrégation sont évidemment les immigrés puis, mécaniquement, leurs enfants et petits-enfants (les « autochtones » 2 qui verraient leurs emplois volés profitent en réalité nécessairement du fruit du travail de la nouvelle main d’œuvre à bas prix).
Le thème de l’intégration est alors au cœur des discussions et on n’a de cesse de mesurer, quitte à inventer des unités de mesure farfelues, le succès ou l’échec des politiques d’intégration. Seules deux alternatives semblent se profiler : le multiculturalisme et l’assimilation. Le premier cas, à l’honneur quand la conjoncture économique est favorable, consiste à organiser la coexistence de cultures, de langues, de pratiques voire de religions dans un naïf esprit de tolérance, qui en fait n’est qu’une déclinaison du relativisme qui ronge la pensée moderne. Le second cas, préféré quand la conjoncture est défavorable, relève de l’acculturation obligatoire, allant parfois jusqu’à demander de déjà parler la langue du pays d’accueil et d’en connaître le mode de vie sans y avoir encore jamais vécu. C’est par exemple ce que fait la France aujourd’hui.
Non seulement ce panel de possibilités (le patchwork ou l’uniformité) est effroyablement maigre, mais il est de plus subordonné aux conditions économiques. Et pour cause, les politiques d’intégration successives et leurs conséquences sont hautement compatibles avec les intérêts de la classe dominante quand ceux-ci prennent les formes du capitalisme industriel et de services, de la marchandisation néolibérale et de la démagogie électoraliste. Pourquoi ? Parce qu’elles entretiennent la stratification sociale nécessaire à l’appareil capitaliste, la sectorisation nécessaire à la fondation de niches commerciales, l’existence d’une classe à la fois moins éduquée donc peu critique et facilement stigmatisée, instrument des partis politiques.
Remarquons que, dans sa grande flexibilité, le malheureux système politico-économique que nous connaissons s’est bien adapté et que l’un des contrecoups de sa mise à l’échelle européenne réside en la naissance d’une supposée « identité européenne » (citée, entre autres, dans les livrets d’étude remis aux candidats à l’immigration en France). Identité, stigmates, difficultés économiques : les éléments propices à l’émergence des extrêmes droites européennes continuent de s’assembler.
Décidément, le passage d’hospitalité à hostilité ne tient qu’à quelques lettres et il n’est pas impossible que d’autres banlieues de capitales européennes s’embrasent sporadiquement dans les années à venir, alimentant toujours des « débats publics » aussi biaisés que confus.

Nicolas
Groupe libertaire Louise-Michel





1. Le détail chiffré des événements est consultable sur la version anglaise de Wikipedia à l’article « 2013 Stockholm Riots », actualisé chaque jour.
2. Je place des guillemets autour des expressions « allochtones » et « autochtones » parce qu’elles renvoient les individus à un sol (« chton » en grec) supposé leur être propre, ce qui n’est au fond pas pertinent. Je les maintiens parce qu’ils sont aisément compris, au contraire d’adjectifs que je forgerais : « allèques » et « autèques », sur « oikos », l’habitat.