Elle n’est pas morte

mis en ligne le 9 mai 2013
Voici un livre réconfortant : La Commune n’est pas morte ne s’adresse pas, comme son titre pourrait le faire croire, à quelques post-situationnistes qui avaient adopté cette chanson comme air de ralliement, ni à quelque trotskiste qui la remit à l’honneur lors du Centenaire. Cet ouvrage s’adresse à un large public, sans exclusive, soucieux d’une actualité qui pourrait passer pour éventuellement inquiétante. La Commune n’est pas morte, et l’auteur de ce brillant essai nous le démontre en ces pages consacrées à la postérité d’un symbole. La première qualité de l’ouvrage est donc de nous faire parcourir un siècle et demi de pratique politique, avec une grande capacité de synthèse, doublée d’une réflexion aiguisée.
Comment fabrique-t-on un mythe ? Telle est l’une des questions examinée par Éric Fournier dans son essai. La Commune, « rendue à sa diversité », devient de la sorte un bien commun pour tous ceux qui sombrèrent dans le « désenchantement du monde », la perte des croyances millénaristes et de ce que le sens commun nomme désormais « utopies », surtout chez ceux qui ne se revendiquèrent jamais ni de l’un ni de l’autre. Ce livre d’actualité s’adresse aussi à ceux qui se représentent le monde dans cette « mélancolie » devenue générale, d’une « perte de la révolution », à commencer par ceux qui n’en connurent jamais aucune.
Ce résumé virtuose d’une si immense période avec ses nuances et ses combats n’est pas vu ici comme une défaite, comme l’ont imaginé certains auteurs, mais au contraire : « La commune n’est pas morte » aujourd’hui. L’enthousiasme de l’auteur nous transporte dans son élan vers l’invention du mur des fusillés, les commémorations successives qui se sont allongées dans le siècle, à la faveur des victorieux du moment. Une Commune dominée par le Parti communiste au fil du XXe siècle, traitée surtout à partir des deux historiens proches du Parti communiste, mais aussi avec une référence à Robert Tombs, dont nous avons rendu compte dans ces colonnes il y a quinze ans. On lira avec le plus grand profit les significations de la Commune dans le florilège de l’extrême droite française, chose peu traitée par les commentateurs habituels de la Commune, qui dans ce livre ne s’appelle pas « Commune de Paris », car dans les nouveaux intérêts qui se penchent de nos jours sur ce passé, il y a aussi les communes « de province », comme on dit en langage monarchique, c’est-à-dire la commune de Marseille, la commune de Lyon, la commune d’Angoulême, et les manifestations de solidarité qui se sont organisées dans toute la France, comme à Périgueux par exemple, voire dans des pays étrangers, et dont Jeanne Gaillard se fit la pionnière il y a un demi-siècle. On retrouvera Henri Lefebvre, mais pas Guy Debord qui polémiqua avec lui sur ce sujet, au cours de ces pages sur « les usages politiques du passé ». Ce livre riche en propositions d’interprétations recèle aussi une qualité d’appréciation contemporaine sur l’esprit du temps. Il révèle comment le lecteur et son écrivain se pensent eux-mêmes dans l’actualité. Une actualité « distanciée », débarrassée des vieilles lunes mensongères d’espoirs en un autre futur, immédiat. Une Commune enfin vue par un regard « critique » qui, pour une fois, ne commet pas l’erreur de se projeter dans l’avant-hier pour se l’approprier, comme ce fut le cas jadis. Si cet essai se réfère bien à la période annoncée de 1871 à nos jours, il ne sombre pas dans le détail chronologique ni archivistique, d’où une lecture fluide, aisée, et agréable.
On ne saurait trop recommander aux lecteurs du Monde libertaire le livre remarquable de Jean-Philippe Crabé : Les Anarchistes et la Commune de Paris, qui analyse pour la première fois le rôle des antiautoritaires avant et pendant la Commune et renouvelle les connaissances des anarchistes sur ce point (éditions du Temps perdu, 2010, 156 pages, 9 euros).
Telle n’est aucunement l’ambition du livre publié par les éditions Libertalia. Il est destiné à un public général, désireux de penser l’actualité à la mesure d’un aspect du monde contemporain, et aussi peu tenté par l’énigmatique « sphinx libertaire » que par le « cannibalisme » d’extrême droite, dont on ne peut que regretter que l’auteur ne nous précise pas ce qu’il entend par là. Un titre pour tous publics.

C. A.