Les petits hommes verts, le Hollandais, et le silence éternel de ces espaces infinis

mis en ligne le 28 mars 2013
Je n’ai rien contre la Hollande. Je n’ai rien contre les Hollandais. Mais il va falloir quand même demander à Sa Majesté Béatrix, reine des Pays-Bas, de priver de hareng frais l’un de ses sujets. Un entrepreneur. On sait que l’entrepreneur est une espèce nuisible, en général venimeuse. Les Pays-Bas, depuis leur bien nommé Siècle d’or, sont un écosystème favorable aux entrepreneurs, qui y poussent comme champignons sur les bouses. Shell, qui massacre le delta du Niger ? Société néerlandaise. Endemol, qui massacre les cerveaux des imbéciles ? Société néerlandaise. Endemol ? Oui, la téléréalité. Loft Story, Secret Story, La Ferme des célébrités, Star Academy, La Roue de la fortune, Fasila Chanter. Le « leader français des producteurs de flux » est néerlandais. On s’en fout ? Oui. C’était juste pour introduire le plus spectaculaire des nouveaux concepts de téléréalité. On s’en fout ? Non. Un entrepreneur hollandais, donc, soucieux d’écraser Endemol, propose un concept de téléréalité qui mérite l’attention des lectrices du Monde libertaire. Je prouve ce que j’avance. Ce monsieur affirme qu’il rêve de coloniser Mars. Du point de vue technologique, la chose est possible, avec beaucoup d’efforts, et surtout beaucoup d’argent. Comment s’y prendre pour que des flots d’argent viennent irriguer les canaux de la planète rouge (et accessoirement, les canaux au bord desquels vit notre Hollandais) ? Simple. Il suffit de filmer l’aventure de A à Z, sous le format d’une émission de téléréalité. à ceci près que les candidats devront s’engager pour la vie, il n’y aura pas de retour prévu. La conquête spatiale et la téléréalité ont en commun une structure gladiatoriale. Seuls les plus durs survivent et le spectacle captive l’attention des masses. On mourait plus chez les gladiateurs que chez les astronautes, et la téléréalité n’a encore envoyé personne ad patres (question de législation, il suffirait de demander quelques changements dans quelques textes), mais dans les trois univers le plaisir consiste à contempler le succès des gagnants, et donc l’écrasement des perdants. Passons à présent à une analogie en apparence plus audacieuse, mais des plus justifiées, qui assimile notre Hollandais à Hitler. Ce n’est pas aux lectrices du Monde libertaire que quiconque apprendra qu’une entreprise capitaliste est, du point de vue politique, du point de vue de l’articulation des relations de pouvoir, une dictature. Au sens le plus étroit, le plus concret, le plus littéral, le moins polémique du mot. Une entreprise est soumise aux ordres de son créateur, puis de son chef. L’autorité réside dans une seule personne, puis descend en cascade hiérarchique. Les entrepreneurs sont des dictateurs. Et ne perdons pas notre temps à démontrer l’évidence, que les univers téléréalitaires sont des éloges à peine déguisés des univers totalitaires, version consumériste postmoderne. Revenons à nos moutons. Hitler, en bon dictateur, en bon entrepreneur, ne voyait le monde qu’à travers son désir de domination. Le monde devait lui servir à immortaliser son moi, sous la forme du Reich de mille ans, et grâce à des millions de cadavres. Quelles limites à ce Reich de mille ans ? Ma foi, étant donné l’état de la technologie en 1933, imaginer que l’Europe de l’Est et la Russie entière deviendraient l’espace vital de la race des seigneurs témoignait d’autant d’ambition qu’imaginer, en 2013, la planète Mars servant de studio à Rocket Story. Voilà pourquoi reprocher au Batave déchaîné sa pyramidale vulgarité, son homicide vanité, sa fierté de cafard droit dans ses antennes, serait une grave erreur. Il faut le remercier. Le remercier de montrer avec tant de franchise que le capitalisme veut tout. Que rien n’est à nous, tout est à eux.