Drôle d’Histoire

mis en ligne le 4 avril 2013
Catherine Dufour, plutôt connue pour ses ouvrages de « punk-science-fiction », nous livre L’Histoire de France pour ceux qui n’aiment pas ça 1. C’est un livre qui fleure bon le printemps revenu après un long hiver. Une bouffée d’air pur à la saison du renouveau. Pourquoi ? Avant tout, parce que Catherine refuse de traiter l’histoire à la manière d’un pensum. Plus circonspecte et plus ludique, sa démarche consiste à nous embarquer à ses côtés sur un trois-mâts « fin comme un oiseau », à nous munir d’une paire de jumelles et à accompagner sa « descente du fleuve du temps » pour faire escale le long des côtes françaises lorsqu’il n’y a pas trop de brouillard et qu’il se passe quelque chose de marquant. Pour ce qui concerne la Gaule, au premier arrêt, on aperçoit Clovis et sa descendance mérovingienne, « de grosses brutes », selon Catherine. Assassinant en chaîne pour se maintenir au pouvoir, ils n’hésitent pas à étrangler ceux qui les dérangent, parents, cousins, etc. Petit exemple au passage : Brunehaut et Frédégonde, toutes deux épouses de rois mérovingiens, ennemies jurées et qui n’auront de cesse de s’entre-déchirer et d’assassiner à tour de bras. Jusqu’à ce que le fils de Frédégonde se débarrasse de Brunehaut, devenue une vieille dame, l’accusant d’une dizaine d’assassinats et l’exécutant sauvagement en l’attachant par les pieds à la queue d’un cheval. Ambiance… Certaines de ces anecdotes au sujet des deux femmes sont extraites d’une chronique nommée Liber Historiae Francorum, considérée par un historien patenté comme un tissu d’âneries « un peu aviné » et rédigée un siècle après la mort de Brunehaut et Frédégonde…
Et Catherine de se demander fort à propos : « En histoire, que croire ? » Elle décide que, plutôt que croire en tout et son contraire, « elle finit par se méfier de tout ». Et de poursuivre, pour le plus grand plaisir de nos oreilles (ou plutôt de nos yeux) :
« L’histoire est écrite par les vainqueurs, puis réécrite de siècle en siècle, au gré des besoins de la propagande. Non seulement les sources manquent mais, en plus, les sources mentent. Les rares chroniques mérovingiennes sont rédigées par des clercs qui ont reçu des ordres. Et ces ordres sont très éloignés de la recherche de la vérité historique. » Les chroniques ont longtemps fondé l’histoire officielle, mais aujourd’hui, les historiens leur préfèrent les quelques rares traces difficiles à trouver. Et Catherine de constater, au passage, que ces anecdotes ne concernent que les puissants, mais que l’histoire de 99 % de la population, la vraie vie de nos ancêtres, paysans, artistes, commerçants, voyageurs, etc., est perdue à jamais. Les mouvements populaires matés dans le sang sont effacés des mémoires. Parfois, on trouve au bas d’une lettre un témoignage comme quoi les soldats du roi ont mis « un petit enfant à la broche » pour terroriser les paysans révoltés. Le témoin ajoute qu’il s’agit là d’un « bel exemple », c’est tout. Sans commentaire ! Nous poursuivons donc avec Catherine le courant des siècles au gré des seules sources rescapées de l’oubli. On découvre au passage que le roi Dagobert n’a jamais mis sa culotte à l’envers, mais que la chanson, elle, a été composée plus de mille ans après sa mort et n’a donc rien à voir avec le personnage. On apprend aussi que les rois mérovingiens appelés fainéants (qui signifie « sans pouvoir » et non pas « feignants »…) sont nommés ainsi parce qu’ils « ne donnent plus rien de bon ». Mais l’idée de fainéantise qui restera collée à leur peau pourrait tout à fait, selon Catherine, être le fait d’une propagande lancée par Charlemagne qui finira par leur voler la couronne. D’ailleurs, Charlemagne n’a jamais inventé l’école puisque celle-ci existait déjà bien avant lui. En revanche, « on dit moins bien qu’il savait à peine écrire ». Plus loin, nous débarquons sur les rives du Haut Moyen Âge, où les serfs survivent dans l’ombre, meurent jeunes de maladies incurables, où, dans ce siècle de la « pensée magique », on soigne les gueux en les vidant de leur sang, une « époque opaque » où l’on a si peu la notion du temps, comme toujours en cas de survie. Les croisades arrivent avec toujours à la plume les mêmes clercs chroniqueurs et les mêmes sources partisanes, quand elles ne sont pas arbitraires.
Catherine, au passage, s’étonne, rétablit des vérités, en tout cas pose les bonnes questions et ainsi c’est un plaisir de poursuivre le voyage en empruntant les écluses de la Renaissance pour accoster au final sur les écueils de la Révolution, un vrai beau voyage… à lire absolument.





1. Catherine Dufour, L’Histoire de France pour ceux qui n’aiment pas ça, éditions Mille & Une Nuits, 9,50 euros, disponible à la Librairie du monde libertaire, 145, rue Amelot, 75011 Paris.