Guerre aux poumons !

mis en ligne le 28 mars 2013
Selon les chiffres fournis par l’OMS, l'Organisation mondiale de la santé, le nombre de morts imputables au tabac s’élèverait à 100 millions pour le XXe siècle ! Comment ce fléau a-t-il pu se maintenir et se développer jusqu’à nos jours ?

Un vieux problème…
Introduite au XVIe siècle en France par Jean Nicot (d’où le nom de nicotine), cette plante d’origine américaine sera d’abord utilisée pour ses soi-disant propriétés médicinales, avant de devenir la drogue que l’on sait. Très tôt, l’état y trouva un moyen de garnir son trésor, puisque le cardinal de Richelieu va le taxer fortement, et Colbert à sa suite en monopolisera non seulement le commerce et la distribution, mais aussi la culture. Cependant, dès le XVIIIe siècle, la Virginie et le Maryland vont devenir les principaux producteurs mondiaux de tabac. C’est le début du très juteux commerce transatlantique, qui implique marchands d’esclaves, de sucre, de coton et de tabac, aux tout premiers temps d’un capitalisme et d’un colonialisme conquérant. C’est d’ailleurs de ces états du vieux Sud américain que sont originaires les plus importantes industries cigarettières du monde. La consommation de cigarettes n’a vraiment décollé qu’au tournant des années 1920, quand plusieurs circonstances ont été réunies : mécanisation de la production cigarettière, urbanisation et industrialisation qui s’accompagnent de la transformation sociale des comportements et développement de la publicité.

…toujours d’actualité
La toxicité du tabac est soupçonnée depuis la fin des années 1890, mais ce n’est vraiment qu’a partir des années 1940-1950 que le lien entre la consommation de cigarettes et le cancer du poumon fut clairement établi. Avec le délai habituel entre le début de la consommation et l’apparition des premiers symptômes, soit une vingtaine d’années. De plus, ce cancer est, on le sait aujourd’hui, causé dans 90 % des cas par le tabac : donc à l’époque on a vu flamber une maladie jusqu’alors très rare. Peu à peu on va découvrir l’ensemble des maladies causées ou aggravées par le tabac : divers cancers (en tout premier pulmonaire, mais aussi de la bouche ou de la vessie), maladies cardio-vasculaires (infarctus, accidents vasculaires cérébraux, artériopathies diverses), maladies respiratoires chroniques, etc. La liste des produits de la combustion de la cigarette, et donc inhalés par le fumeur, comprend – outre la nicotine et le goudron – des choses aussi effrayantes que le polonium 210, le potassium 40 (radioactifs !) ou bien des dérivés du cyanure, du plomb, de l’ammoniac : ce sont près de 5 000 produits toxiques, et pour 50 d’entre eux clairement classés comme cancérigènes, qui se retrouvent dans la légère fumée bleutée… en cause, en plus du tabac, les différents additifs (addictifs…), les produits de dégradation des engrais et pesticides et autres conservateurs.

Les enjeux du danger
Mais alors, pourquoi ce poison n’est-il tout simplement pas interdit ? L’industrie du tabac est florissante : en 2010, le bénéfice des 4 premières compagnies mondiales a été de 16 milliards de dollars (pour un chiffre d’affaire de plus de 320 milliards de dollars !). En France (où les taxes sont particulièrement élevées), l’état a engrangé en 2010 environ 13 milliards d’euros. Ce chiffre est à mettre en regard du coût social, qui comprend les dépenses de santé des malades du tabac, les coûts de prévention, les pertes de productivité, etc. : il est estimé à environ 47 milliards d’euros… On estime qu’en France, chaque année, il y a 60 000 décès liés à la consommation de tabac, dont 35 000 cancers ; la moitié des personnes décédées des suites du tabagisme a entre 35 et 69 ans. Est-il utile de préciser que les plus pauvres sont les plus représentés parmi les victimes ? Et que, hélas, les femmes vont dans ce domaine bientôt rattraper les hommes. Dès que sont parues les premières études sur la responsabilité du tabac dans la genèse du cancer du poumon, les firmes productrices se sont lancées à fonds perdus dans une campagne de dénigrement et de suspicion à l’égard des travaux scientifiques. Toutes les ficelles de la propagande ont été utilisées : publicité, contre-expertises bidonnées, mise en doute de la qualité des recherches, noyautage des commissions scientifiques. Les mêmes principes de contre-argumentation que ceux utilisés par les industriels de l’amiante, qui ont permis à ces derniers de repousser les demandes de réparation. C’est à ces mécanismes de dissimulation et de fragmentation de la connaissance opérés par les industriels du tabac que s’attache l’historien des sciences Robert Prothorax dans son livre Golden Holocauste : Origines of the Cigarette Catastrophe et the Case for Abolition. à partir des archives des industriels, qui ont été obligés en 1995 à l’issue d’un procès retentissant à l’américaine de numériser à leurs frais et de rendre accessibles 14 millions de documents, l’auteur retrace cette incroyable histoire de mensonges et de manipulations qui a conduit à laisser se dérouler un véritable holocauste sanitaire à l’échelle mondiale. Car ce sera bientôt dans les pays les plus pauvres, nouvel eldorado des marchands de mort, que les conséquences du tabagisme vont se faire le plus durement sentir.
On raconte qu’à l’issue d’une interview le journaliste qui demandait au PDG de Philip Morris s’il fumait se vit répondre : « Vous me prenez pour un idiot ? »



Sources :
Sur le livre de R. Prothorax (en l’absence de traduction française) : http://www.laviedesidees.fr/Les-guerres-du-poumon.html
Sur le procès intenté contre les cigarettiers, le film de Michaël Man : Révélations (titre original : The Insiders).
Le comité national contre le tabagisme : www.cnct.fr/
Les chiffres sont tirés de :
http://www.tueurs-payeurs.fr/chiffres-tabac.php www.alliancecontreletabac.org