Quand on récolte ce qu’on a semé : la grève des ouvriers agricoles du Cap occidental

mis en ligne le 7 février 2013
La série de grèves et manifestations dans et autour des fermes de la province du Cap occidental, en Afrique du Sud, s’est nourrie d’un sentiment de frustration et de rage profondément ancré chez les travailleurs. Au quotidien, les ouvriers agricoles sont soumis non seulement à des salaires de misère, à des expulsions, à de mauvaises conditions de vie et à un travail précaire, mais aussi à un racisme, à des intimidations et à des humiliations incessantes. Ce n’est pas exagérer que de dire que les ouvriers agricoles, noirs pour la plupart, sont considérés et traités comme des sous-hommes par les propriétaires et gérants des exploitations agricoles. C’est dans ce contexte d’extrême oppression, et parfois de pure violence, que les ouvriers agricoles du Cap occidental se sont soulevés pour la première fois depuis des décennies, et depuis les propriétaires et gérants commencent enfin à récolter ce qu’ils ont semé.
Cet article examine, dans une perspective anarchiste communiste, le contexte de la grève des ouvriers agricoles, y compris les actions et revendications des travailleurs, et les réactions de l’État et des patrons. Mais il étudie également le rôle que certains leaders syndicaux et politiciens locaux ont joué, et l’impact que cela a eu sur le mouvement ; en particulier il étudie le rôle parfois contradictoire des dirigeants du Congrès des syndicats sud-africains (Cosatu). Enfin, il présente des suggestions sur les suites qu’on peut envisager à ce combat, en mettant l’accent sur la construction de luttes et de mouvements sous le contrôle direct des travailleurs.

Le contexte
Les grèves, et les manifestations qui les ont accompagnées dans les zones rurales du Cap occidental ont débuté quand les employés de fermes autour de De Doorns ont cessé le travail le 27 août 2012. Un salaire indigent, de mauvaises conditions de travail et des pratiques de travail injustes étaient les principaux griefs de ces travailleurs. Dans la foulée, des manifestations ont rapidement surgi dans les townships des banlieues de De Doorns et Stofland, où la plupart de ces travailleurs vivaient dans des conditions de pauvreté abjectes. En particulier, des affrontements entre les grévistes et la police ont commencé à se produire, et les habitants ont barricadé l’autoroute nationale et la voie de chemin de fer qui traverse le township. Les conditions scandaleuses prévalant dans les autres fermes du Cap occidental ont fait que bientôt ce sont des centaines de milliers de travailleurs qui, partout dans la province, ont rejoint la grève. Et les manifestations se sont généralisées dans presque chaque ville rurale du sud du Cap occidental.
Vers Novembre, un certain nombre de comités de grève s’étaient formés dans plusieurs localités. À ce moment, la grève des ouvriers agricoles était clairement auto-organisée, et s’était développée largement en dehors des syndicats et des partis politiques. En fait, les syndicats dans le secteur agricole sont relativement petits, et ne représentent qu’environ 7 % des ouvriers agricoles du Cap occidental. En même temps que les comités de grève commençaient à se former, a émergé la revendication d’une augmentation du salaire minimum de 69 à 150 rands par jour. Dans les premiers moments de la grève, la police était débordée, et l’État tout comme les propriétaires étaient sur la défensive. À ce moment, il y avait vraiment de réelles chances pour que le mouvement, qui s’accélérait et s’étendait, ait gain de cause.
Depuis cette vague initiale, les politiciens locaux et les dirigeants des principaux syndicats se sont jetés dans la bataille. Avec l’arrivée de ces nouveaux joueurs dans la partie, la situation est devenue beaucoup plus compliquée, avec l’irruption de stratégies purement politiques, et des personnalités jouant souvent des coudes pour se trouver sous la lumière des projecteurs afin d’augmenter leur visibilité et celle de leur organisation. En particulier, la grève a été suspendue plusieurs fois de manière antidémocratique par certains bureaucrates syndicaux, la première fois en novembre : c’est-à-dire au moment précis où la grève prenait son élan. On verra ci-dessous comment et pourquoi elle a été suspendue. Cependant, malgré des suspensions répétées, le mouvement est reparti à plusieurs reprises. En effet, la grève a redémarré en janvier dernier et on a vu de nouveau des manifestations dans les communes rurales du Cap occidental, et des affrontements faire rage entre la police et les manifestants. Ce qui est clair, donc, est que malgré plusieurs arrêts de la grève (la dernière en date remonte au 22 janvier), les travailleurs vont continuer à se battre.

Le Bawusa dans la mêlée…
Alors que la grève s’était initialement auto organisée en dehors des syndicats, les dirigeants du Syndicat des ouvriers agricoles d’Afrique du Sud (Bawusa) et du Congrès des syndicats sud-africains (Cosatu) via sa branche sectorielle de l’Alimentation – le Fawu – ont rapidement fait leur entrée dans l’arène, notamment à De Doorns. Leur arrivée a provoqué un retrait progressif du pouvoir des mains des travailleurs, et des quelques comités de grève qui avaient été formés. En d’autres termes, les dirigeants de ces syndicats ont commencé à devenir la « face visible » de la grève, et il leur est arrivé de pouvoir influencer le tempo du mouvement. Dans les faits, leurs actions, même si elles étaient bien intentionnées, n’ont pas toujours profité aux travailleurs.
La raison pour laquelle les dirigeants du Bawusa ont pu s’immiscer dans le mouvement est que, bien que le syndicat soit petit, il est présent chez les ouvriers agricoles depuis plusieurs années, et son secrétaire général, Nosey Pieterse, les a déjà aidés dans des affaires d’expulsion. C’est à partir de là que les dirigeants du Bawusa ont pu rapidement prendre pied dans le mouvement à De Doorns. En fait, Pieterse, de même que le secrétaire général du Cosatu, Tony Ehrenreich, ont été aussi utilisés par les médias comme porte-parole officieux du mouvement en raison de leur notoriété. Du coup, tous deux en sont venus à jouer un rôle de premier plan dans les grèves, et à supplanter largement les comités de grève initiaux formés par les travailleurs.
Bien que le Bawusa soit un syndicat et ait soutenu la grève, il est présent dans l’industrie du vin via une organisation appelée Association noire de l’industrie du vin et des Spiritueux (Bawsi), constituée de capitalistes noirs débutants, et à laquelle il est toujours lié. Le but de la Bawsi et du Bawusa est donc en dernière analyse de favoriser une plus grande implication des Noirs dans l’industrie du vin, dans une perspective interclassiste. Ils ont considéré le mouvement comme un moyen de promouvoir leur stratégie essentiellement nationaliste noire sur le dos des travailleurs. Pour y arriver, ils ont utilisé les grèves pour mettre l’État et les propriétaires terriens à la table des négociations, afin d’arriver à un accord favorisant l’implication des Noirs, capitalistes compris, dans cette industrie. Cette stratégie interclassiste du Bawusa est également évidente en ce qui concerne Pieterse lui-même. Ce dernier est un néopropriétaire capitaliste, et via Bawsi il a des intérêts dans une des plus grandes compagnies vinicoles du Cap occidental, KWV. Du fait de leur idéologie interclassiste, on peut douter de l’intérêt des dirigeants de Bawsi/Bawusa pour une lutte basée sur le contrôle des travailleurs et la démocratie directe, malgré leur soutien à la grève.

Le Cosatu et l’ANC à leur tour
Les dirigeants du Cosatu ont eux aussi soutenu le mouvement depuis ses débuts, et ils ont également une certaine présence à De Doorns via le Fawu. Cela dit, les dirigeants du Cosatu ont montré clairement qu’ils considéraient cette grève comme l’occasion de récupérer une partie de la crédibilité que la fédération avait perdu pendant les grèves de 2012 dans les mines de platine (voir Le Monde libertaire n° 1683), et aussi de commencer à syndicaliser dans les exploitations agricoles. Dans cet ordre d’idées, le Cosatu a clairement démontré qu’il ne voulait pas que se développe une situation semblable à celle des mines de platine, où les travailleurs avaient mené leurs actions hors des syndicats et de leur influence. Par suite la stratégie des dirigeants du Cosatu a été de gagner en visibilité plus que de construire une lutte basée sur la démocratie directe. Et donc, tout en soutenant la grève, ils ont également poussé au dialogue social entre les syndicats, l’État et le patronat agricole – représenté par Agri-SA – afin de résoudre le conflit. Mais dans ce processus, les travailleurs de la base ont été exclus des négociations, de même que les comités de grève.
Le fait que Tony Ehrenreich soit lui-même un politicien bien connu et très médiatique de l’ANC (qui, dans la province du Cap occidental, est dans l’opposition) lui a conféré dès le départ une grande influence sur la grève, quoique la plupart des ouvriers agricoles ne soient affiliés ni au Cosatu, ni à son alliée l’ANC. Le Cosatu et Ehrenreich ont utilisé cette notoriété pour suspendre la grève un certain nombre de fois, souvent sans consultation ni aucun mandat de la base. En fait, les dirigeants du Cosatu ont appelé unilatéralement à la suspension de la grève chaque fois qu’ils ont considéré que c’était utile ou nécessaire. La plus importante a peut-être été celle de novembre 2012, dans une période où le mouvement amplifiait et était dans une dynamique positive. À ce moment, le Cosatu a suspendu la grève unilatéralement, dans le but d’essayer de négocier un compromis avec les propriétaires terriens, et de laisser du temps à l’État pour faire semblant d’intervenir afin d’élever le salaire minimum légal.
Ainsi, le Bawusa tout comme le Cosatu ont cherché à négocier un accord par le dialogue social, et dans ce but ont suspendu la grève unilatéralement à plusieurs reprises. Pourtant, cette stratégie s’est largement soldée par un échec et a dépossédé les travailleurs de leur mouvement : ils sont « représentés » par les syndicats, et n’interviennent plus directement. La meilleure mise en évidence des limites du dialogue prôné par les dirigeants syndicaux est peut-être le fait que l’État a carrément refusé d’augmenter le salaire minimum – une revendication commune au Cosatu et au Bawusa à la table des négociations – avant sa date de réévaluation de mars 2013. De même, Agri-SA a refusé tout accord national ou régional qui comporterait une augmentation du salaire minimum. Quand il y a eu des victoires, par exemple là où des propriétaires ont accordé de meilleurs salaires, on peut l’attribuer principalement à la pression pesant sur les propriétaires du fait des grèves et des manifestations, et non à l’habileté négociatrice des dirigeants syndicaux. Un autre problème est qu’à chaque suspension antidémocratique de la grève par les dirigeants syndicaux, il a été difficile, mais pas impossible, aux travailleurs de relancer la dynamique.

Les comités de grève pris de court
Le fait que le Cosatu ait cependant été capable de suspendre unilatéralement la grève à plusieurs reprises pour entamer un dialogue social en dit long sur la force des comités de grève à peine éclos. Bien qu’ils aient joué un rôle majeur dans le lancement des grèves à plusieurs endroits, les comités de grève n’avaient tout simplement pas la force de contrer les appels du Cosatu à la suspension de la grève, et les travailleurs reprenaient progressivement le travail quand ces appels étaient lancés. Une coalition avait également été constituée durant la phase initiale de la grève par des syndicats et les organisations non gouvernementales progressistes pour construire et coordonner les comités de grève afin que les travailleurs puissent contrôler le mouvement. Certains des syndicats et organisations de la coalition, tels que le Syndicats des dockers (Csaawu) et le Surplus People’s Project (PPP) ont un long historique de création de comités de travailleurs et de forums dans les régions rurales. Cependant, même si la coalition a réussi à monter plusieurs comités de grève et en a aidés à se renforcer par la base, beaucoup de régions sont restées privées de tels comités et la coalition n’est pas devenue réellement une plateforme contrôlée par les travailleurs eux-mêmes pour coordonner la grève. En d’autres termes, il n’y a pas eu de contrepoids efficace et correctement organisé aux dirigeants du Cosatu et du Bawusa, et à leur stratégie. En effet, le Cosatu, bien que participant à la coalition, a largement ignoré les résolutions et les mandats qui en ont émergé. Le Cosatu a plutôt suivi unilatéralement la voie qui semblait appropriée à sa direction, et a en pratique mis sur la touche les autres organisations et comités de grève de la coalition.
Le fait que les ouvriers agricoles n’ont pas, en Afrique du Sud, un grand passé d’organisation et d’engagement dans des luttes majeures, contrairement aux ouvriers des mines, peut avoir également joué un rôle. Quand une grande organisation, en l’occurrence le Cosatu, a suspendu le mouvement, la plupart des travailleurs ont suivi. Il est certain que beaucoup d’entre eux ont été perturbés par ces appels à l’arrêt et à la reprise de la grève et que beaucoup en sont mécontents, mais il n’ont pas construit une alternative efficace, probablement du fait de leur peu d’expérience des luttes longues, de la démocratie directe ouvrière, et de la confiance qu’on peut en tirer.

L’État et la police face aux grèvistes
Tout en étant impliqués dans les négociations, officielles ou non, avec les dirigeants du Cosatu et du Bawusa, l’État et les patrons ont aussi utilisé les nombreuses suspensions du mouvement qui les ont accompagnées pour passer à l’offensive. Sur l’ensemble du Cap occidental et dans la foulée de la première suspension de la grève, des milliers d’ouvriers agricoles ont été virés ou suspendus. Beaucoup d’autres ont été victimes de sanctions disciplinaires. Quand les grèves ont repris, certains propriétaires terriens ont même enfermé les travailleurs dans leurs exploitations, les empêchant ainsi de participer au mouvement. En outre, certains propriétaires ont utilisé des agences de vigiles pour intimider les travailleurs. À Robertson, un propriétaire circulait en voiture avec un fusil en menaçant de tirer sur les travailleurs du Csaawu en grève. La propagande a également été intensive, de nombreux propriétaires menaçant notamment de mécaniser leur exploitation et de licencier des travailleurs.
L’État a également utilisé ces suspensions du mouvement pour consolider ses forces. Alors qu’il était débordé en novembre 2012, incapable à cette époque de faire face simultanément à toutes les manifestations, il a mis à profit la première suspension du mouvement pour renforcer les unités de police dans la région et pour déployer une Équipe de réponse tactique (TRT) pour saboter la grève et en finir avec les manifestations.
Parmi les unités de police, beaucoup semblent avoir complaisamment rempli leur tâche de réprimer les manifestations au cours des grèves des ouvriers agricoles. Au moins trois grévistes ont été tués par la police. Gaz lacrymogènes, grenades assourdissantes et balles en caoutchouc ont été envoyés sur les grévistes dans presque toutes les communes rurales du Cap occidental. À Wolsely, pendant les grèves, la police a au moins une fois tiré à balles réelles alors qu’elle était à court de balles en caoutchouc. Les townships où vivent les ouvriers agricoles ont subi des assauts nocturnes, et plusieurs personnes ont été menacées et battues dans leur maison par la police. Pendant l’un de ces incidents, les travailleurs arrêtés ont également déclaré que la police avait mis à feu des boîtes de gaz lacrymogènes dans les cars de police où ils étaient enfermés. Le Parquet a également donné l’instruction aux procureurs de l’État de refuser la liberté provisoire aux travailleurs et aux militants qui avaient été arrêtés dans le cadre de la grève ou des manifestations.
Comme il se doit, le rôle de la police et de l’État pendant la grève a été de défendre la propriété privée et la richesse des capitalistes terriens. Et donc, malgré le fait que plusieurs élus locaux de l’ANC aient par moments soutenu le mouvement, comme il est de règle pour l’opposition politique locale, l’État, qui est gouverné par l’ANC, a en pratique soutenu les propriétaires. Ainsi, bien qu’il y ait parfois des tensions en Afrique du Sud entre fractions de la classe dirigeante, en l’espèce le sommet de l’État (qui est majoritairement noir) et les capitalistes terriens (qui sont majoritairement blancs), l’État a joué un rôle majeur dans la protection des propriétaires contre les grévistes. Même s’il peut exister des querelles politiciennes entre dirigeants, ils se sont unis pour faire face à un soulèvement de travailleurs, et ils ont utilisé l’État, entre autres moyens, pour combattre les grévistes. On retrouve la citation de Bakounine selon qui « l’État est l’autorité, la domination et la force organisées par les classes possédantes et soi-disant éclairées contre les masses » : le rôle de l’État est donc de protéger et de maintenir par la force les privilèges de la classe dirigeante. Il n’est pas une entité neutre ni un partenaire dans la négociation intervenant simplement pour aider les ouvriers agricoles, comme l’espèrent les dirigeants du Cosatu et du Bawusa, mais bien un ennemi des grévistes. Sa force sera utilisée pour abattre les travailleurs et pour protéger les intérêts des propriétaires terriens. C’est pourquoi la satisfaction des revendications des travailleurs ne peut être gagnée que dans le cadre d’une lutte contre l’État, et non dans celui d’un dialogue social.

Vers le pouvoir aux travailleurs
Malgré les défis internes et externes qu’ils ont dû relever, la grève des ouvriers agricoles a été à la fois historique et souvent héroïque. Une des franges les plus misérables de la société s’est finalement soulevée et s’est battue pour la justice et de meilleurs salaires. Le mouvement a également mis en lumière les conditions de vie scandaleuses en milieu rural, et a probablement changé à jamais la façon de voir des ouvriers agricoles. De la sorte, ces grèves dans les fermes et les villes rurales fournissent une grande occasion de commencer à construire un mouvement des travailleurs actif dans les zones rurales. Il y a un évident besoin massif de structures, notamment syndicales, combatives, non seulement pour obtenir des réformes, mais aussi dans une perspective révolutionnaire.
Peut-être la tâche immédiate des militants et des organisations qui prônent le pouvoir et le contrôle des travailleurs est-elle de consacrer leur énergie à contribuer à la création et à la vie de comités de grève et de travailleurs, basés sur la démocratie directe, dans les fermes et les townships ruraux. Ceux-ci, s’ils se généralisent et se consolident, devraient rendre les travailleurs capables de gérer leurs luttes par eux-mêmes. Ces grèves en ont constitué le départ et c’est là-dessus qu’il faut construire. Même si le mouvement actuel ne redémarre pas, les luttes futures sont devant nous et il est important que des structures démocratiques, directement contrôlées par les travailleurs, soient là pour les mener. Il faut donc considérer cet enjeu aussi sur le long terme.
Cette grève est également l’occasion pour les syndicats combatifs, comme le Csaawu, de recruter. Un problème rencontré dans le passé par ces syndicats était la difficulté de syndicaliser dans les fermes du fait de l’intimidation ambiante, voire de l’impossibilité de s’y introduire. Le climat de la grève peut avoir changé la donne dans certaines zones. Du coup, les syndicats comme le Csaawu pourraient aussi développer une stratégie de développement d’abord dans les townships, puis de s’en servir comme tremplin pour recruter parmi les travailleurs qui vivent dans les fermes. Pour la suite des luttes, des syndicats forts, combatifs et contrôlés par les travailleurs seront une nécessité vitale.
Il est également important que se développe à l’intérieur des syndicats et des comités une contre-culture révolutionnaire basée sur une fierté de classe. Elle protégerait les gens en lutte contre tous les opportunistes susceptibles d’utiliser le mouvement à leurs propres fins. En parallèle, il faut bâtir une éducation populaire radicale et révolutionnaire.
Ce qui est également important est que, dans le processus de construction d’un mouvement contrôlé par les travailleurs, des gens comme les dirigeants du Bawusa et du Cosatu auraient à s’engager dans une bataille politique. Leur idéologie de collaboration avec l’État comme s’il s’agissait d’un allié ou d’une entité neutre, serait contrée efficacement, de même que leur pratique de passer par-dessus les décisions prises en démocratie directe. On peut espérer que les travailleurs ont eux-mêmes tiré leurs propres conclusions sur la nécessité de garder le contrôle de leur luttes et de ne pas s’en remettre à des personnalités médiatiques. Ce mouvement a ouvert une brèche, et il faudrait qu’elle soit agrandie non par les dirigeants du Cosatu et du Bawusa, mais bien par la prise de pouvoir des travailleurs.

Shawn Hatting
traduction : Secrétariat aux Relations internationales