Fukushima

mis en ligne le 31 janvier 2013
Le 6 août 1945, à 8 h 15, heure locale, la première bombe atomique de l’Histoire explose à 600 mètres au-dessus d’Hiroshima — une explosion équivalente à 15 000 tonnes d’explosifs TNT. La ville japonaise est instantanément rasée, et 75 000 personnes sont tuées sur le coup.
Aujourd’hui, après l’accident majeur de Fukushima classé au niveau 7 (le plus élevé), la plupart des 100 000 personnes évacuées qui souffrent des conséquences de cette catastrophe civile attendent toujours les indemnités promises par la compagnie Tepco.
Cette catastrophe nous pose l’interrogation suivante : allons-nous poursuivre dans l’aveuglement, la cupidité et la vanité que produisent les compétitions économiques et qui nous amènent à la situation que nous connaissons aujourd’hui ? Ou alors, allons-nous plutôt placer l’être humain et la protection de la planète au centre d’actions humanistes et écologiques ? Les agissements de l’humanité influent sur les éléments de notre monde. D’abord parce que nous sommes de plus en plus nombreux et ensuite parce que notre gourmandise due à notre utilisation abusive de la technologie nous éloigne de la nature. La conséquence de cette manipulation est de suivre sans nous poser de questions les règles et les commandements de la société matérialiste créatrice de sociétés inhumaines fondées sur l’égoïsme, l’incompréhension de la vie, l’exploitation effrénée de la Terre, l’esclavage matérialiste et une crise écologique sans précédent qui pourraient nous conduire à une catastrophe planétaire.
L’intellectuel allemand Günther Anders précisait en son temps : « Hiroshima est partout. À l’époque, je voulais dire que chaque point de notre terre pouvait être touché et anéanti exactement comme Hiroshima. » La situation actuelle est bien pire.
Car par un seul Hiroshima, peu importe où il a lieu, peu importe que ce soit à Harrisburg, Tchernobyl ou Wackersdorf et peu importe qu’il arrive en temps de guerre ou pendant notre prétendue paix, par un seul Hiroshima, donc, tous les autres lieux de notre bien-aimée terre pourraient devenir conjointement un immense Hiroshima – et même pire. Car ce ne sont pas seulement tous les lieux dans l’espace, mais aussi tous les lieux dans le temps qui peuvent être ainsi touchés et le sont peut-être déjà. Si nous n’agissons pas aujourd’hui, il est possible que nos petits-enfants et nos arrière-petits-enfants périssent avec nous, à cause de nous. Alors nous, les hommes d’aujourd’hui et nos ancêtres, nous n’aurons finalement jamais existé.
La contamination se poursuit, sans que de véritables moyens de prévenir la population aient été mis en place.
Des équipes d’experts en radioprotection ont relevé des niveaux élevés de radioactivité dans les fruits de mer pêchés par les Japonais au large des côtes du Japon après l’accident dans la centrale japonaise de Fukushima, avec des rejets de césium 137 estimés à 27 millions de milliards de becquerels, a indiqué jeudi 27 octobre l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). « Ce rejet radioactif en mer représente le plus important apport ponctuel de radionucléides artificiels pour le milieu marin jamais observé », relève l’IRSN. « Ce résultat est environ deux fois plus élevé que celui estimé par l’IRSN en juillet et vingt fois plus important que l’estimation faite par l’opérateur japonais Tepco, publiée en juin », précise l’institut français dans une note d’information.
Ces relevés ainsi que les informations récentes sur l’étendue réelle des radiations à Fukushima montrent l’urgence d’informer avec transparence la population et de la mettre à l’abri des conséquences de l’accident de Fukushima Daiichi d’une contamination durable et très étendue. Un communiqué fait état des constatations issues des premiers résultats d’analyse. Les dépôts de césium radioactif sur les sols ont été très importants. Ils génèrent, et vont générer pendant longtemps, un flux de rayonnements gamma responsable de l’irradiation de la population sur des très vastes étendues. En l’absence de mesures de protection, plusieurs millions d’habitants vont recevoir, du fait de cette exposition externe, des doses de rayonnement très supérieures à la limite de 1 mSv/an (la réglementation française fixe à 1 millisievert (mSv) par an la dose efficace maximale admissible résultant des activités humaines en dehors de la radioactivité naturelle et des doses reçues en médecine). Il faut ajouter à cela l’exposition interne (du fait notamment de l’ingestion d’aliments contaminés) et surtout toutes les doses reçues depuis le 12 mars dernier, doses qui ont pu être extrêmement élevées au cours de la première semaine du fait de la quasi-absence de mesures de protection. Le cumul des substances radioactives rejetées en mer par la centrale nucléaire de Fukushima serait environ trois fois plus important que ne le pensait l’opérateur du site, a affirmé, vendredi 9 septembre, la presse nippone. Des chercheurs japonais évaluent à présent à 15 000 téra Becquerels la quantité d’éléments radioactifs dispersés dans l’océan Pacifique entre mars et avril, à la suite des explosions d’hydrogène et autres avaries survenues à Fukushima Daiichi, le complexe atomique endommagé par le séisme et le tsunami du 11 mars dans le nord-est de l’archipel.
L’exemple de l’histoire n’a rien amené pour faire en sorte d’éviter ces catastrophes. Des centaines de « pierres à tsunamis » parsèment la côte du Japon et témoignent des vagues géantes du passé. La stèle du village d’Aneyoshi demande de ne pas construire d’habitations en deçà et précise : « Que des habitations en hauteur garantissent paix et bonheur à nos descendants. »
Le « Jinmu boom » et la croissance exponentielle qui débute en 1961 avec le mot d’ordre du premier ministre Ikeda de doubler le produit national brut en dix ans reposent sur une alliance entre le camp conservateur, l’État développeur et les milieux d’affaires (le « triangle de fer »). L’émergence économique du Japon, pays qui apparaît à l’Exposition universelle d’Osaka (1970) comme le troisième grand et bénéficie d’une reconstitution, sous une nouvelle forme, des grands conglomérats (zaibatsu) de l’avant-guerre, d’une main-d’œuvre abondante et qualifiée et de dépenses militaires réduites.
Les faits qui se sont produits ne sont pas donc tout à fait dus au hasard. Poussé par la fièvre d’une compétition économique à partir des années 1960, l’État a cherché à assurer coûte que coûte son autonomie énergétique. Le choc pétrolier de 1973 aidant, la course au nucléaire civil a hissé le Japon au rang de troisième producteur nucléaire au monde, après les États-Unis et la France. Les ingénieurs japonais ont donc fait consciemment le choix de construire 54 réacteurs nucléaires, dans l’une des zones les plus sismiques et dangereuses de la planète. Malgré le refus et les recommandations de diverses personnalités, dont l’écrivain Haruki Murakami et le sismologue Ishibashi Katsuhiko de l’université de Kobe qui avait donné l’alerte en 2004 pour Hamakao, la centrale la plus dangereuse du pays. Le scientifique estimait que les normes antisismiques étaient dépassées depuis le séisme de Kobe de 1995. La centrale était de fait située près de la zone où était attendu depuis trente ans le « Big One », le séisme qui dépasserait en intensité tous les précédents. En 2007, il déclare : « Si des mesures radicales ne sont pas prises dès maintenant pour réduire la vulnérabilité des centrales nucléaires aux tremblements de terre, le Japon pourrait connaître une véritable catastrophe nucléaire. »
Les centrales nucléaires étaient évidement surdimensionnées par rapport au risque sismique. À se conduire comme des apprentis sorciers, on finit par mettre en péril des milliers (des millions) de vies humaines. Or le scénario du pire – hautement improbable, bien entendu – s’est bel et bien réalisé. Depuis le redémarrage de deux réacteurs à la centrale d’Ohi, des centaines de milliers de Japonais sont entrés en résistance. Ils manifestent leur opposition chaque semaine dans de nombreuses villes du Japon, quelquefois de manière spectaculaire, ce qui a conduit à appeler leur mouvement la « Révolution des hortensias ».
Selon l’ancien diplomate et professeur à l’Université Tokai Gakuen Mitsuhei Murata, « si le bâtiment estropié du réacteur 4 de la centrale de Fukushima Daiichi s’effondre, cela va provoquer l’abandon forcé des six réacteurs à cause des radiations dégagées, mais cela affectera aussi la piscine commune de combustible usé contenant 6 375 barres de combustible, située à 50 mètres du réacteur 4. Le nombre total des barres de combustible irradié sur le site de Fukushima Daiichi hors cuves des réacteurs est de 11 421. C’est environ 85 fois la quantité de césium 137 relâché à Tchernobyl. Si la piscine devait s’effondrer à cause d’un nouveau gros séisme, les émissions de matière radioactives seraient énormes : une estimation prudente donne une radioactivité équivalente à 5 000 fois la bombe nucléaire d’Hiroshima », une catastrophe capable de mettre en péril toute vie sur Terre.
Malgré tous ces bouleversement, et les mobilisations inédites contre le nucléaire, le nationaliste Shinzo Abe a été élu Premier ministre du Japon après la victoire écrasante de la droite aux législatives du 16 décembre. Cet homme de 58 ans avait déjà dirigé le gouvernement nippon pendant une laborieuse année entre 2006 et 2007. Son retour intervient en pleine tension avec le voisin chinois qui revendique des îles administrées par Tokyo en mer de Chine orientale, et alors que la Corée du Nord vient de procéder à un nouveau tir de fusée considéré par Tokyo comme un essai de missile balistique.
L’une des obsessions de ce politicien classé très à droite est la révision de la constitution pacifiste de 1947, dictée par l’occupant américain. Après avoir, lors de son précédent passage au poste de Premier ministre, créé le premier « ministère de la Défense » à part entière du Japon depuis 1945 (le pays ne disposait avant cela que d’une simple « agence » de défense), Abe a promis cette fois de rebaptiser les « Forces d’autodéfense » de l’archipel en « armée nationale ». Son parti est pro- nucléaire et souhaite voir redémarrer des réacteurs nucléaires malgré le traumatisme causé par l’accident de Fukushima, ce qui n’augure rien de bon. Par ce nouveau gouvernement élu en décembre, le Japon a donc choisi de vivre dans le déni du danger nucléaire. On continue à brûler des déchets radioactifs dans tout le pays, on autorise les habitants des zones rouges à passer le nouvel an dans leurs maisons contaminées, on promet de remettre en route les centrales nucléaires arrêtées, les enfants des écoles continuent de porter des dosimètres et de mordre la poussière radioactive invisible. Tout est en place pour une grande catastrophe sanitaire à venir. Malgré tout, il faut continuer à soutenir le combat des Japonais qui veulent un monde sans nucléaire en veillant à ce que l’information circule, en restant vigilant pour toujours dénoncer les mensonges de l’industrie nucléaire, les dangers des faibles doses et les chimères de la décontamination des terres.
Nous devons rassembler toutes les énergies allant dans le sens de la préservation de l’humanité et de la planète, c’est un défi majeur, une question de survie pour nous tous dans cette époque de troubles et de conflits. Nous devons sortir du nucléaire et gérer nous-mêmes l’énergie.


Frédéric
Groupe Fresnes-Antony Anar’tiste