Post-hits (2)

mis en ligne le 31 janvier 2013
« Derrière chez moi y a une usine / (c’est pas un dragon postglaciaire)
elle fume elle crache dans l’atmosphère / sur les vitres et sur la verdure,
le linge, les bronches et les voitures / les tombes, les ch’veux des demoiselles,
de la limaille et des poussières / Bienvenue dans l’air postindustriel ! »



Postindustriel avait eu son heure de gloire dans des milieux plus économiques. J’ai souvenir de militants du Parti socialiste (entre autres) qui, dans les années 80-90, n’avaient que cela à la bouche pour justifier la fin de l’industrialisation, de la classe ouvrière, la nécessaire tertiarisation, l’avènement de la société des loisirs et… la fin de la lutte des classes. Lorsque l’on répondait qu’il n’y avait jamais eu autant d’ouvriers sur la planète… cela n’imprimait pas ! Mais les mêmes doivent aujourd’hui conseiller à leurs enfants et petits-enfants d’apprendre le chinois… On ne dit plus « postindustriel », on parle de « désindustrialisation », cela sonne moins « moderne », cela sent la régression… Pourtant, à l’heure où des hauts fourneaux s’éteignent à Florange (et tout le monde en entendit parler), le troisième haut fourneau de l’usine Arcelor de Dunkerque est remis en marche (usine qui inspira la chanson) et personne n’en parla (du HF et de la chanson !). La réalité est toujours plus complexe que les étiquettes et les schémas.
Revenons à Michel Onfray : si le titre attire, si l’étiquette « postanarchisme » interpelle, si des dizaines, des centaines de lecteurs d’Onfray sont influencés par ces quelques pages et dirigent leur réflexion vers l’anarchie, ce sera toujours cela de bon ! Soit dit en passant, c’est bien cela qui nous manque : des discours, des films, des spectacles, des textes adressés aux grand-mères, aux petits-enfants, à tous. À tous les autres.
Le postanarchisme se muera-t-il en « désanarchisation » (sic) ? Il faut ici détailler davantage. Michel Onfray écrit : « La révolution qui règle définitivement tous les problèmes et assure la disparition du mal sous toutes ses formes […] voilà une incroyable fiction digne des scénarios les plus fantasques, les plus infantiles et les plus religieux. Quand on aura : […] rompu avec le schéma chrétien de révolution avec annonce du paradis à venir ; cessé de croire aux fantaisies millénaristes avec promesses de sociétés radieuses ; arrêté de souscrire aux naïvetés rousseauistes – alors arrivera le temps de l’anarchie positive, la tâche que se propose le postanarchisme. »
Ici donc, le postanarchisme d’Onfray est bien postmoderne. La fin des métarécits, suite aux horreurs staliniennes, refroidit les velléités révolutionnaires. Onfray n’invente rien, ce discours a été tenu maintes fois avant lui. Sur un échiquier politique très large. Non, je ne vais pas le traiter de « social-traître »… Car on peut même aller plus loin : Tomas Ibanez dans Fragments épars pour un anarchisme sans dogmes affirme : « Si l’on croit vraiment au succès d’un projet révolutionnaire, alors il faut renoncer à tout ce qui peut l’entraver et, en particulier, à l’ensemble des valeurs libertaires, parce que les deux choses sont incompatibles. » L’argumentation est puissante : « L’objectif suprême (la révolution) légitime le sacrifice du présent au futur, la subordination du temps concrètement vécu au temps abstrait, l’effacement de la vie devant l’idée, sans mentionner d’autres sacrifices – qui vont de l’autosacrifice des militants à l’action de sacrifier autrui, en passant même par le sacrifice des principes que l’on proclame. » Ennemis de tout despotisme, les anarchistes repoussent toutes les théories autoritaires. Mais la révolution, c’est quand même sacrément autoritaire, non ?
Pourtant : est-il besoin de croire en la révolution pour qu’elle advienne ? Non. On peut s’être dégagé de toute mystique révolutionnaire, ne pas idéaliser l’événement, craindre les issues possibles et ne pas pour autant en éliminer la possibilité. Et donc la possibilité d’agir dans ces circonstances-là. Que ferions-nous en Égypte aujourd’hui ? Critiquer une vision de la révolution, cela n’implique pas que les révolutions n’ont pas lieu.
Amusant tout de même de constater que le jadis récurrent (et un moment oublié) « réformisme ou révolution ? » se réinvite dans cette chronique sous des formes diverses.
(À suivre.)