PSA : récit d’un ouvrier (suite)

mis en ligne le 31 janvier 2013
Mercredi 16 janvier, la grève reconductible a enfin démarré dans l’usine. Sur un effectif de 3 000 personnes, une minorité de 450 grévistes, chiffre de la CGT, bloquent la production. Selon moi, c’est à peu près 250 ouvriers qui constituent son noyau dur. L’un des objectifs de la lutte est atteint : l’usine est morte, pas une voiture ne sort depuis cette date ! Avant de vous raconter ces événements, n’ayant pas encore tous les éléments nécessaires pour le faire de manière précise, je reprends la suite de mes articles à l’endroit laissé par le précédent. Leurs enchaînements amèneront au moment présent, l’éclairant un peu plus.
Nous revoici donc au mois de juillet 2012, à quelques jours des vacances. À ce moment, les tensions entre grévistes et non-grévistes deviennent de plus en plus paroxystiques. L’atmosphère devient encore plus électrique, quand on apprend que des non-grévistes profitent de la journée du 12 juillet pour être payés double. Les grévistes avaient obtenu qu’elle soit payée. Ceux qui ne sont pas allés protester sur le parking ce jour-là n’ont eu aucun scrupule à toucher leur journée de travail en plus. Je ne répète pas encore assez pour ces vermines : « Lorsqu’il y aura négociation, tout devra aller aux seuls grévistes ! Les autres pourront crever ! Tu bougeais pas, c’est que t’étais content de ton sort ! »
Un collègue s’énerve encore plus, apprenant qu’un chef, qui ne fout rien depuis vingt ans, ne remplaçait même pas pour aller aux cabinets. Maintenant, l’enflure prend le poste des grévistes. L’ouvrier ajoute : « Tôt ou tard les pendules seront remises à l’heure ! »
Ce qui suit éclaire bien des aspects du trotskisme. Nous débarquons au débrayage demandé par la CGT en fin de journée. Le camarade Jean-Pierre Mercier doit faire le compte rendu de son entrevue avec Montebourg. Une fois les grévistes présents, le leader répète, pour commencer son discours, le déjà dit plusieurs fois, histoire de donner plus de consistance à son allocution. Il fait ça malgré la demande des grévistes d’aller à l’essentiel pour pas perdre trop d’argent. Son allocution finie, Mercier demande au micro s’il y a des questions. C’est gonflé de la part de quelqu’un qui dit partout qu’il faut des débats entre ouvriers ! L’ouvrière de l’autre jour, du haut de sa petite taille, d’une voix légère, ose une remarque. Sans micro, la voix porte ne pas. Mercier se garde bien de le faire passer. Elle n’a pas l’habitude de parler en public comme le grand orateur professionnel qui prépare ses discours à l’avance… Après la remarque de l’ouvrière disant : « Il faut rester dans l’usine le 25 ! Faire une journée morte ! S’adresser aux indécis pour bloquer la production ! » Mercier reprend la parole, micro en main. Il répète les propos de l’ouvrière tel un professeur corrigeant ses élèves. Après ça, il ajoute : « C’est pas une bonne idée, il faut tous monter avenue de la Grande-Armée ce jour-là, une délégation de l’usine de Rennes, qui va subir 2 000 licenciements, viendra ! Nous pourrons discuter avec eux ! » Avec ce qui vient : les trotskistes dévoilent une fois de plus leur vrai visage. L’ouvrier qui avait entraîné le débrayage du paquebot hausse la voix sans micro : « C’est dans l’usine que ça se passe ! On t’a déjà assez vu dans les télés ! » À ce moment, un béni oui-oui de Lutte ouvrière intervient à son tour : « Il ne faut qu’un leader dans le mouvement ! » Entendant ça, énervé, je hausse le ton pour être entendu : « Non, c’est la porte ouverte à toutes les pires dictatures, totalitarismes qui ont commencé comme ça ! Avec un unique leader qui au départ pouvait être honnête ! » Les trotskistes et leur suite me mitraillent du regard. Ça joue pour eux que je sois pas un bon orateur, avec ou sans micro. Ma prose reste. Mes paroles s’envolent toujours dans le tumulte des flots de l’action d’une grève, finissant dans la confusion. Profitant de la confusion qui
s’installe, les autres militants de Lutte ouvrière présents prennent le micro. Et à tour de rôle, ils appuient la proposition du chef. Des cris s’entendent : « Ils ont raison ! Ils ont raison ! » Ça promet pour le comité de grève.
Bingo ! Le lendemain, ils remettent ça pour placer leurs militants au comité de grève. Ils ne vont pas changer une formule qui gagne. Une formule qui a marché par le passé chez leurs maîtres staliniens. En plus, il ne faut pas qu’ils traînent, une riposte pourrait s’organise. Les trotskistes présentent au micro leurs candidats, les adoubés qu’ils pourront manipuler. Les autres partants doivent se présenter en levant la main, pire qu’à l’école quand on demandait la permission à la maîtresse. Après ça, le tribun d’arrosoir fait voter l’élection du comité de grève à main levée. Comme ça, certains passent, ni vu ni connu. Qui a dit que ce ne sont pas de fins stratèges politiciens ?
Leur stratégie a même été jusqu’à appeler à l’abstention au second tour de la présidentielle. Ils en rient encore jaune d’un bon mot qui circule dans les ateliers : avec 0,5 vous vous êtes abstenu aussi au premier tour !
Beaucoup d’ouvriers ne veulent pas faire partie du comité de grève. Ils ont eu vent de son déroulement : Lutte ouvrière laisse d’abord tous les points de vue s’exprimer. Beaucoup parlent pour ne rien dire, c’est pain bénit pour les trotskistes, les éventuels opposants sont noyés dans ce fatras de paroles. Après ça, à tour de rôle, ils imposent le leur, espaçant les interventions pour que les participants croient que leur point de vue vient du débat.
Il est à souhaiter que la grève présente permette aux ouvriers conscients de faire voler en éclats cette politique vaseuse.
La suite prochainement…

Silien Larios