Facteurs sous pression

mis en ligne le 24 janvier 2013
1694RiposteÀ quoi servent les facteurs de la Poste ? À distribuer le courrier. C’est évident, me direz-vous. Eh bien, depuis quelques années maintenant, et de manière de plus en plus pressante, les agents chargés chaque jour de remettre le courrier dans notre boîte aux lettres ou à notre concierge sont « invités » à diversifier leur activité.
Les dirigeants de l’entreprise tiennent un raisonnement qui se veut imparable. Le courrier papier est en voie de disparition, le chiffre d’affaire baisse, battons-nous ensemble pour sauver la boutique. Alors ! Vous les facteurs, qui côtoyez les clients de près, soyez à la pointe du combat. Devenez des ambassadeurs dynamiques et conquérants. Vendez tout ce que vous pouvez. L’important est de refiler des produits qui rapportent (par exemple, des Chronopost bien plus chers que les lettres recommandées). Et, comme les facteurs n’ont naturellement pas la fibre de VRP, il est nécessaire de mobiliser ce petit monde.
Les responsables ne sont pas à court d’idées pour sensibiliser le personnel. Les établissements sont classés en fonction des ventes réalisées (comme au football, il y a des poules, des groupes). Le personnel compose des équipes qui se tirent la bourre. Les meilleurs peuvent espérer une prime. Et, pour les agents les plus performants, les directions ne reculent devant rien : bons cadeaux, noms des champions affichés dans le service, diplôme et poignée de main d’un cadre, et, soyons fous, cela peut même aller jusqu’à une photo, un article dans le journal de la direction.
Et les innovations ne s’arrêtent pas là. Des tâches nouvelles sont créées. Selon les villes, les régions, le facteur peut désormais installer des décodeurs, vendre des téléphones, relever les compteurs de gaz et d’électricité.
En fait, tout est mis en place pour développer la culture de la gagne. Le facteur doit avoir soif de réussite. Il ne sert à rien de gémir contre les suppressions d’effectifs et les salaires minables. Chacun peut s’en sortir individuellement si l’on s’y prend bien pour faire casquer le client.
Il y a pourtant nécessité et moyen de s’opposer à cette évolution sans frein. Contester les consignes infantilisantes en revendiquant au quotidien le rejet de cette dérive dangereuse. L’originalité de ce métier, c’est d’accomplir un acte précis : la distribution des plis. C’est aussi rendre des services aux usagers : s’inquiéter, par exemple, si la petite mamie a besoin qu’on lui porte de l’argent à domicile, mais aussi si on peut l’aider à remplir des formulaires administratifs ou autres. En résumé : prendre le temps de jouer un rôle social qui est incompatible avec la recherche de profit.

Hervé Roveili



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


Un jeune anar

le 27 février 2013
Mon père jouait ce rôle social que vous décrivez à la fin de votre article Mr Hervé Roveili. Il était anar, et l'aide et les services qu'il rendait gratuitement aux différentes personnes présente sur sa tournée était les seules choses qui lui faisait aimer ce métier. La solidarité et l'entr'aide. Malheureusement, rallongement de la tournée etc... ont fait qu'il ne pouvait plus passer autant de temps à aider les gens, et donc à aimer son métier. Etant d'un naturel dépressif, çela à empiré les choses, et il c'est immolé le 22 février 2011.
Tout ce blabla pour vous dire que je trouve très bien d'avoir fait cet article.