Vers une agriculture écologique ?

mis en ligne le 17 janvier 2013
Dans Vive l’agro-révolution française, Vincent Tardieu vient de faire le point sur l’agriculture, principalement en France et eu égard au reste du monde 1. Le livre décrit de nombreuses expériences visant à une production saine, bio, sans OGM, économe en intrants chimiques, préservant ou rénovant les sols, soucieuse d’économiser l’eau (arrosage goutte à goutte, par exemple), proche des consommateurs (circuits courts évitant les transports à distance), etc. Cette agriculture renoue avec la polyculture (notamment dans l’association élevage-culture), réinstalle des haies, des bosquets, des arbres (par exemple 50 arbres sur une surface cultivée de deux hectares), fait appel à des « auxiliaires » (phéromones qui leurrent les nuisibles, insectes ou autres animaux qui mangent les prédateurs des plantes, les parasites ou qui, comme les abeilles, assurent la pollinisation), élimine ou limite énormément l’utilisation d’herbicides, de pesticides, d’insecticides, revient à l’assolement avec des variétés de plantes qui nourrissent les sols et facilitent la croissance mutuelle des semis, retrouve des semences variées redonnant de la biodiversité (indispensable car si une maladie attaque une variété de plante, la récolte est perdue alors que ce n’est pas le cas lorsqu’il y a diversité ; par ailleurs les anciennes semences sont souvent bien plus résistantes et adaptées au climat ou au sol que celles sélectionnées pour faire de la rentabilité). Mais les avancées et les expérimentations vers cette agriculture « bio » sont lentes. En effet, elle a de redoutables adversaires et des complices dans les ministères, l’administration, les instances syndicales, etc.

Je te tiens, tu me tiens
La politique agricole commune (PAC), exigée par la France dès la création de l’Union européenne (UE), a dévié de sa mission première : l’indépendance alimentaire de l’Europe. Merveille, aujourd’hui celle-ci n’est plus assurée ! C’est le résultat d’une politique devenue hyperlibérale qui a consisté à faire du productivisme (d’où la suppression des haies pour faire des surfaces d’un seul tenant, l’usage massif de produits chimiques et de machines, la sélection de semences à haut rendement, bref, la recherche de la rentabilité, etc.) en poussant à la concentration des fermes au détriment des petits exploitants. Originellement, la PAC visait aussi à soutenir les prix (subventions à l’exportation, arrachages, par exemple, de vignes, stockages des excédents). On est passé à des « quotas » de production, par exemple laitiers, quand les excédents devinrent trop lourds et coûteux, puis à des primes à l’hectare, puis à des aides personnalisées et ciblées. Cette politique a massivement favorisé les gros exploitants (comme le prince Charles ou Albert de Monaco) pour le blé, la betterave, le maïs, le sucre et l’élevage bovin, les banques qui ont prêté pour de nouvelles installations et machines (d’où un endettement considérable des agriculteurs, pardon, des exploitants agricoles), les industries de transformation (l’agroalimentaire), les firmes de produits phytosanitaires, les semenciers (qui ont promu les variétés hybrides, c’est-à-dire qui ne se reproduisent pas, ce qui oblige les agriculteurs à racheter des semences sans pouvoir réserver une part de leur récolte à de nouveaux semis), les supermarchés qui tiennent les producteurs via la puissance de leurs centrales d’achat constituées en oligopole, les fausses coopératives qui imposent leurs prix d’achat, les variétés et même les machines et types d’installation…
Tous ces gens-là se tiennent par la barbichette et s’aident mutuellement pour pousser au productivisme ; ils ont fini par obtenir l’ouverture aux marchés mondiaux afin de faire baisser les prix d’approvisionnement et surtout pour casser les petits exploitants incapables de soutenir la concurrence. C’est ainsi que l’Europe a importé massivement du maïs US (cela faisait partie des accords du plan Marshall), puis du soja (US et maintenant d’Amérique du Sud : surtout Brésil et Argentine, ce qui tue les forêts et fait exiler ou massacrer les Indiens) pour nourrir le bétail, alors que la viande est consommée en trop grande quantité, d’où des tas de maladies (obésité, cardio-vasculaires, diabète, etc.) pour les consommateurs. Ladite Europe laisse aussi entrer les semences OGM des trusts chimico-alimentaires, sauf quand tel ou tel pays s’y oppose avec le résultat que tel machin interdit en France se retrouve quand même sur les étals via les importations internes à l’UE.
L’agriculture intensive à base de grandes surfaces, de chimie, de « révolution verte » (qui a échoué car après les grands rendements du début, les sols ont été épuisés et les nuisibles sont devenus résistants aux traitements) par sélection des plants puis par OGM, de monoculture avec une seule variété, etc., s’est implantée grâce à la coalition des intérêts financiers des acteurs précédents. Mais ce ne sont pas les seuls.

La FNSEA entre dans la danse
La FNSEA, si proche des gouvernements de droite, notamment avec Chirac, et monopolisée par les représentants des gros exploitants, a joué un rôle moteur. Elle a phagocyté les chambres d’agriculture jusqu’à l’assemblée permanente de celles-ci, les coopératives, les organismes de recherche. Ainsi l’Inra, pourtant organe public normalement au service de l’intérêt général, a beaucoup travaillé en direction de ce type mortifère d’agriculture. Les axes de recherche étaient orientés d’après ses besoins et les demandes de la FNSEA, ce qui, après cinquante ans, a fini par encroûter les cerveaux devenus imperméables à d’autres approches, envahis par la « science normale » (opposée à toute innovation portée par les agriculteurs de base ou certains chercheurs, bref une pensée académique et fricophone), opposant leur savoir (comme le font les énarques, les ingénieurs, les experts de tout poil) aux paysans incultes (c’est le cas de le dire), privilégiant les démarches top-down (du haut vers le bas), autoritaires, dogmatiques, réfutant les expériences mêmes réussies avec des études bidons et surtout calibrées sur les acquis et les normes en cours. Au contraire, la nouvelle agriculture avance grâce aux efforts conjoints de chercheurs et de praticiens qui échangent entre eux sans préséance de pouvoir ou de savoir, avec allers et retours entre la pratique et la théorie.
La FNSEA a placé beaucoup de ses dirigeants dans les sphères du pouvoir (Guyau, Lemétayer, Jacob, dit Rantanplan, Beulin). Le pouvoir est un veau élevé sous la mère FNSEA et ouvert aux pressions des lobbys comme l’UIPP (Union des industries pour la protection des plantes !). On a ainsi obtenu un texte étatique ahurissant par lequel les agriculteurs doivent verser une sorte de taxe aux semenciers, notamment une boîte dirigée par Beulin, actuel chef de la FNSEA !

Forfaiture fait loi
Les moyens de pression pour circonvenir les dissidents sont nombreux : refus des coopératives de prendre leur production ou de leur vendre les instruments ad hoc (par exemple dans le cas des cuves à lait pour les adhérents de Biolait), pression sur les banques pour ne pas leur prêter (dont l’infâme Crédit Agricole qui pousse pourtant à l’endettement) afin qu’ils fassent faillite, ce qui permet de les racheter pour des roupies de sansonnet (technique éprouvée dans l’industrie et le commerce avec les tribunaux de commerce avec juges et syndics compradores), refus d’homologation des semences (or ladite homologation ressortit à une liste d’État ; si la semence ne figure pas sur la liste, il est interdit de la commercialiser, et devinez qui concourt à la liste ? La FNSEA) ou des produits (par exemple le purin d’ortie, recette ancestrale, est interdit à la vente). Le gouvernement, autre acteur de grand poids, est donc devenu l’auxiliaire des gros, des industries chimiques, semencières et agroalimentaires, des lobbys, de la FNSEA. C’est un autre exemple des charmes de la démocratie en régime libéralo-capitaliste : le bien public n’existe plus et les intérêts particuliers sont défendus et organisés par le pouvoir légalement élu. On attend avec impatience l’action de Guimauve le Concurrent après que son prédécesseur a eu dit que l’environnement, y en avait marre. Évidemment, il n’y a pas qu’en France. Aux États-Unis, Monsanto et consorts ont obtenu que les agriculteurs, dont les champs avaient été envahis par des plantes OGM cultivées à côté de leur exploitation, soient considérés comme liés à la « firme » et tenus de lui racheter des semences ; ils ont par ailleurs été déboutés quand ils l’ont attaquée en justice. Monsanto a inventé le mouvement perpétuel car elle vend des plants OGM conçus pour résister à son pesticide (le Roundup) ; donc elle fourgue en même temps les semences et les produits chimiques, le tout en vente forcée. C’est ce qu’on appelle le libéralisme…

Longue marche de l’agriculture nouvelle
On se doit donc de constater que la recherche française a pris beaucoup de retard et que la nouvelle agriculture ne peut se développer qu’avec bien des difficultés tant les acteurs puissants analysés par Tardieu tiennent à conserver les rentes de situation que le pouvoir leur a données. E pur si muove
Il est urgent de ficher en l’air la PAC dans ses orientations actuelles : foin du libéralisme, aides uniquement aux pratiques novatrices, pas un radis aux gros exploitants et aux syndicats, indépendance des organismes d’homologation et de recherche, retour aux plantes traditionnelles pour l’élevage en premier lieu, plus de subventions, par exemple, au maïs grand consommateur d’eau, cessation des importations massives de soja, aides aux agriculteurs en tant que conservateurs de la nature et producteurs écologiques, financement de coopératives vraiment indépendantes, organisation de filières coordonnées et courtes en production et en distribution, moyens de stockage pour régulariser les prix (et même une monnaie parallèle gagée sur eux), rééquilibrage des rapports entre producteurs, coopératives, transformateurs et grande distribution, prêts à taux zéro pour les petits agriculteurs innovants, etc. Et aussi suppression de toute subvention directe ou indirecte aux exportations dans le tiers-monde, qui est ruiné par ces dernières et qui perd ses cultures vivrières et les possibilités de son indépendance alimentaire.









1. Vincent Tardieu, Vive l’agro-révolution française, Belin, 2012.