Faut-il sauver le musée Jacob ?

mis en ligne le 20 décembre 2012
Reuilly ? Le goût d’un terroir à 15 kilomètres au sud de Vierzon… et pas vraiment l’affluence à l’office du tourisme local. Pourtant, la charmante et sympathique hôtesse, qui attend le chaland à la manière de nos braves soldats scrutant désespérément, en 1940, à l’intérieur des fortifications de la ligne Maginot, le retour de Pologne de l’armée ennemie, a vite fait de vous alpaguer, trop heureuse de pouvoir justifier son salaire de saisonnière, si, par aventure, ou par inadvertance, alors que vous cherchiez une station-service, un supermarché, un Maquedo ou un lieu de civilisation en plein cagnard estival, vous franchissez l’antre touristique renommée. Bien sûr, votre éducation vous interdit de fuir en courant les jambes à votre cou. La jolie demoiselle élevée à la tarte à la patate, au boudin et au blanc du coin (classé AOC depuis 1937 tout de même !) vous indiquera alors les salles attenantes transformées en musée des Arts et Traditions populaires et en musée du Vin. Mais, comme la bougresse a senti que vous ne goûtez guère les sabots, les outils et les lits d’antan et que vous préférez, de loin, voir le pinard dans votre verre plutôt que dans un musée, elle vous vantera le nouveau consacré à la gloire locale, qui, toutefois, n’est pas du cru.
Marius Jacob, né à Marseille, s’est installé, à la fin de l’année 1939, au hameau de Bois-Saint-Denis. Il s’y est suicidé le 28 août 1954. Au mois de juin 2012, Claude Nerrand, président de l’office du tourisme, ancien colonel et promoteur pour le moins ambigu de l’anarchiste qui n’appartient à personne, voit enfin se concrétiser le musée Jacob qu’il espérait depuis des lustres et des lustres pour la renommée de son village. La Nouvelle République du Centre-Ouest est présente pour l’occasion, estimant, le 20 de ce mois, que ledit musée mérite d’être visité. Le professeur Nerrand a dû repartir le sabre en bandoulière après le vernissage, car la petite sauterie n’a pas vraiment attiré la foule indigène. Nous avons poussé notre curiosité badine jusque-là au début du mois d’août et avons pu constater à notre tour qu’il est plus facile de circuler dans la pièce-musée que dans les couloirs du métro parisien vers 17 heures-17 h 30.
Faut-il pour autant sauver le musée Jacob du colonel Nerrand ? La question peut se poser légitimement si l’on considère qu’il y avait matière à dire, à faire et, surtout, à exposer. Au lieu de cela, vous allez lire pendant une bonne demi-heure un exposé photocopié en cinq actes, s’articulant autour d’une table centrale sur laquelle sont négligemment posés des chapeaux melons et hauts-de-forme. Précédemment, la charmante hôtesse aura pris soin de vous signaler que les pièces sur lesquelles vous allez vous ébaubir sont d’époque. Mais laquelle ? Deux costumes noirs viennent compléter la panoplie de l’ancien voleur qui n’est pas Arsène Lupin même si le site de l’OIT, à sa page Reuilly, au cœur du Berry, indique tout à fait le contraire.
Vous allez tourner dans le sens des aiguilles d’une montre mais, avant, il va falloir se taper le court propos introductif du metteur en scène qui vous invite, en fin de parcours, à lâcher vos impressions dans le livre d’or sur cet individu au parcours si particulier. Car, même cambrioleur, on peut avoir des qualités. De toute évidence, et en toute logique, l’ancien colonel ne cautionne pas les actes du cambrioleur anarchiste et donne dès le départ de la visite une vision partisane, légaliste et moraliste de la vie et des engagements d’un homme pourtant intelligent, sobre, droit. Un voleur se doit d’être tout le contraire, bien évidemment !
L’enfance, l’anarchisme et les vols, les procès d’Amiens et d’Orléans, le bagne et enfin la vie d’un vieux marchand forain aspirant à la tranquillité dans un pays où il ne se passerait rien vont défiler sous vos yeux. Mais peut-être vous lasserez-vous à la lecture des reproductions d’articles de presse ? La photocopie tue le plus souvent l’intérêt et la motivation de lecture là où il eut été nettement plus judicieux de placer des originaux de Paris-Presse, du Petit Journal, ou encore de Voilà, soit autant de feuilles toujours très faciles à trouver de nos jours sur les sites de vente en ligne de journaux d’occasion.
Claude Nerrand vante alors le sérieux de ses recherches et l’accumulation de vrais témoignages dans un propos concluant la visite. Nous avons donc appris qu’il y avait de faux témoignages ! Ceux-là auraient pu, bien sûr, entacher la solidité historique de l’exposition établie après de nombreuses lectures. Un cahier, dans la salle-musée, fait d’ailleurs la liste des ouvrages sur Alexandre… sur Marius Jacob que le visiteur peut emprunter gratuitement à l’espace socioculturel du village. L’Honnête Cambrioleur, publié en 2008 par l’Atelier de création libertaire, s’y trouve à côté de la collection « à couteaux » tirés de L’Insomniaque parue en 1999 et d’autres titres plus contestables. Sur la poutre de la salle, au plafond, sont placardées les premières de couvertures desdits ouvrages… sauf L’Honnête Cambrioleur. No comment !
Naïvement, nous avons relevé quelques vraies erreurs commises par le muséographe amateur. Car celui-ci, s’inspirant de la première biographie écrite par Bernard Thomas, reproduit les mêmes conneries. Les chapeaux exposés sont assortis bien sûr des pseudonymes utilisés par Jacob lors de la période des cambriolages : Escande et Trompe la Mort portent un haut de forme, Bonnet un feutre noir (a-t-on vu le jeu de mot ?) et Attila un chapeau melon… Passons sur l’énorme flou (pas si artistique que cela) entourant l’histoire de l’anarchisme pour arriver sur la période du bagne et vous constatez que le fagot Jacob porte le matricule 34477… soit 300 de moins que dans le registre officiel de l’administration pénitentiaire de Guyane. Le romancier et journaliste au Canard enchaîné avait, dans une deuxième version de son Jacob, rectifié le tir. Celle-ci était parue en 1998. Claude Nerrand a dû rester bloqué en 1970 ! De la même manière, Jacob sort de la prison de Fresnes en 1928 et non un an plus tôt. Passons.
Courage, la visite est bientôt terminée. Voilà Reuilly et Bois-Saint-Denis et on se demande bien l’intérêt d’exposer la serrure de la maison de Marius. Volonté allusive de mettre en valeur le passé d’un perceur de coffres-forts ? Désir de révéler les quelques rares pièces authentiques conservées ? Le témoignage affiché de Josette Passas, donné à l’occasion de l’exposition de 2004 et de l’ouverture cette année d’une impasse Marius-Jacob dans le village, vient fort heureusement rattraper cette réalité émotionnelle et historique qui commençait à vous filer entre les doigts. Sur une petite table, qui en son temps a dû servir de meuble télé, trône une pipe et la plaque un peu rouillée du barnum de l’ancien forain : Marius Jacob, marchand ambulant Reuilly Indre. Enfin quelque chose d’intéressant.
Il ne vous reste plus qu’à lire la surprenante conclusion dans laquelle Claude Nerrand, en Monsieur Loyal qui se prévaut d’une interview télé faite par Jean-Luc Delarue, se justifie d’avoir voulu s’approprier un anarchiste devenu Arsène Lupin. Il ne justifie pas en revanche la faute d’orthographe faite dans la question posée par l’animateur. Cela dit, il aurait juste cherché à raconter cette histoire d’aventurier sans parti pris. Et si une telle malhonnêteté dialectique ne vous arrache pas un léger sourire, vous prendrez soin de laisser votre impression dans le livre d’or comme Cloclo vous l’a suggéré au début de la visite. Quelques rares visiteurs l’ont fait avant vous pour souligner la mémoire de se sacré bonhomme ou encore pour tenter une bizarre analogie avec un malheureux candidat frontdegauchiste à la dernière élection présidentielle. Un autre a simplement écrit « Vive l’anarchie ! » après avoir affirmé qu’Alexandre Jacob méritait son musée.
Seulement, ici, dans ce coin perdu de la champagne berrichonne, le voleur anarchiste n’a pas vraiment le musée qu’il était en droit de mériter. Au lieu de cela, vous serez tentés de constater un fonds de commerce, comme a pu dire en son temps une méchante langue à Claude Nerrand qui ne donne pas de nom mais qui se défend, en conclusion de la visite, d’avoir voulu valoriser Reuilly par le biais de Jacob. C’est pourtant ce qu’il nous affirmait lorsque nous l’avons rencontré le 3 avril 2001. Il évoquait pour nous l’exposition de 1993, qui est donc devenue permanente : « J’ai fait l’exposition pour deux raisons. Il faut que je l’avoue, que je sois franc, d’abord parce que le personnage m’intéressait d’un seul coup. Quand les gens en parlaient, ils avaient l’air de trouver Jacob extraordinaire. La deuxième cause, étant président du syndicat d’initiative de Reuilly, je trouvais là un biais touristique qui pouvait éventuellement m’attirer du monde. »
En sortant du musée Jacob, nous nous sommes arrêtés une dernière fois à l’office du tourisme, histoire de voir s’il n’y avait pas un magnet, un pin’s ou une carte postale à acheter ou, pour faire honneur à l’honnête cambrioleur, à voler. Il y avait juste toujours aussi peu de monde et nous nous sommes demandé s’il fallait sauver le musée Jacob ? La charmante hôtesse, nourrie au boudin, à la tarte à la patate et au vin blanc AOC, n’a pas dû comprendre notre désarroi. Elle souriait toujours autant.

Steve Golden