Agenouillisme autrichien : une collusion islam-christianisme

mis en ligne le 20 décembre 2012
Alors que le Qatar fait tranquillement son nid en France (BTP, sport, luxe, 300 millions d’euros récemment investis dans les PME, etc.), c’est à l’Arabie Saoudite que l’Autriche a officiellement décidé de dérouler son tapis rouge-blanc-rouge, aux couleurs de son drapeau. Après tout, quitte à s’attirer les faveurs des wahhabites – ces ultraorthodoxes intégristes de l’islam –, autant faire les yeux doux au pays le plus puissant. Même si l’Empire austro-hongrois a sombré il y a près de cent ans, à la fin de la Première Guerre mondiale, on continue en Autriche à accorder une importance particulière aux palais. C’est donc un palais sur le très prestigieux Ring, le boulevard circulaire de Vienne, qui fut offert aux cheikhs saoudiens : le palais Sturany.
Là où l’affaire ne manque pas de piquant, c’est que ce palais va héberger le centre du roi Abdallah pour le dialogue interreligieux et interculturel. La convention passée avec le royaume wahhabite mérite d’être lue. C’est au nom du « dialogue interreligieux » et même au nom des « valeurs des droits de l’homme » que ce centre est créé… alors même que l’Arabie Saoudite, régie selon les principes de la monarchie absolue, applique la charia et interdit tout exercice de la religion autre que l’islam. Ce pays ne comporte aucune église, aucune synagogue… mais ses représentants se feraient les apôtres (!) du dialogue interreligieux – et des valeurs liées aux droits de l’homme ? Autant confier au Vatican la création d’un centre culturel axé sur les cultures LGBT ! Dans ce pays, c’est la décapitation au sabre qui attend les apostats, les homosexuels ou simplement les femmes accusées de sorcellerie ! Pour mémoire, c’est aujourd’hui le seul pays au monde où les femmes n’ont pas encore le droit de conduire ni de sortir seules.
L’inauguration de ce centre eut lieu en grande pompe le 26 novembre dernier, non pas dans le palais qui a été attribué, mais ni plus ni moins qu’à la Hofburg, le palais le plus prestigieux de la ville, là où réside le président autrichien et où Marine Le Pen était invitée pour danser fin janvier (Le Monde libertaire, n° 1658, 2 février 2012, p. 10). Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, faisait partie des invités d’honneur (alors même que l’Arabie Saoudite n’a pas voté la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 !) avec les ministres des Affaires étrangères de l’Autriche, de l’Espagne et bien sûr de l’Arabie Saoudite… ainsi qu’un gradé du Vatican, car ce dernier État bénéficie du statut d’observateur dans ce centre. Sa création remonte à 2007, lors d’un entretien entre le pape Benoît XVI et le roi Abdallah. Les obscurantistes de tous les pays sont visiblement déjà plus unis qu’on pourrait le croire.
Le jour de l’inauguration, un symposium était organisé dans l’un des hôtels les plus chics de la ville. Dès l’enregistrement, chacun recevait un énorme classeur high-tech avec la présentation sur papier glacé de tout le programme, des orateurs, des institutions présentes, etc. Grand luxe ! L’atelier où je m’étais inscrit (au service des lecteurs du Monde libertaire !) portait sur les programmes culturels. L’assistance avait de quoi surprendre pour un athée comme moi : des religieux partout ! La plaquette officielle s’adresse d’ailleurs « aux représentants de toutes les religions » – sympas pour les athées et les agnostiques ! Lors des exposés, il était question du roi bienfaiteur et du dialogue, de la tolérance, du dialogue nécessaire, de la tolérance prometteuse ou encore du dialogue fructueux. Après chaque présentation, quelques questions étaient possibles. Je me suis levé pour questionner les conférenciers sur ce qu’ils entendaient par tolérance : « S’agit-il de tolérer les Juifs, qui à l’heure actuelle ne sont pas admis en Arabie Saoudite ? Si ce n’est pas le cas, cette tolérance concerne-t-elle alors les homosexuels, actuellement punis de la peine de mort dans le pays ? » Cela a suscité un certain froid… Le modérateur a préféré recueillir d’autres questions et, bien sûr, aucune réponse ne m’a été donnée. Pour le déjeuner, c’était vraiment l’opulence, même si bien sûr l’alcool était proscrit (ils ne vont quand même pas tolérer ceux qui aiment prendre un verre avec leur repas !). En sortant, je me disais que si le gouvernement autrichien venait à être à court d’idées, ils pourraient demander à l’Arabie Saoudite quelques conseils en ski alpin ou en construction d’igloos !
Ces obscurantistes saoudiens sont si riches (et courtisés, à une époque marquée par la crise énergétique) que non seulement l’Autriche leur a offert un palais (exempté d’impôts locaux), mais en plus ils ont accordé le statut diplomatique (donc l’immunité !) à tous les membres de cet institut (100 personnes dans le conseil d’administration du centre). L’application à ce centre prétendu « culturel » de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961 interdit aux agents de l’État accréditaire d’y pénétrer : aucune enquête ne sera autorisée, aucune surveillance. Les membres pourront tranquillement aller prêcher la haine dans les mosquées autrichiennes et rentrer tranquillement dans leur abri de luxe. Côté rémunérations, c’est l’échelle des faramineux salaires onusiens qui a été retenue et dans leur grande bonté, les Saoudiens ont offert le poste de numéro 2 (vice-secrétaire général) à l’ancienne ministre de la Justice du parti chrétien-démocrate, Claudia Bandion-Ortner (il y a encore une trentaine de postes à pourvoir dans ce centre, dont quatre rémunérés à plus de 10 000 euros mensuels).
Bien sûr, la création de ce centre est avant tout politique. Le projet a reçu le soutien des conservateurs chrétiens-démocrates de l’ÖVP et des sociaux-démocrates du SPÖ. Seuls les députés du parti d’extrême droite (le FPÖ de Heinz-Christian Strache) et ceux des Verts ont voté contre ce projet (les premiers par réflexe raciste, les seconds par lucidité).
Deux petites manifestations ont eu lieu le jour de l’inauguration, organisées par les Verts, mais aussi par l’Initiative des musulmans libéraux d’Autriche. Intéressant aussi : l’initiative Religion ist Privatsache (« la religion est une affaire privée ») et l’Initiative homosexuelle (représentant les intérêts des homosexuels dans le pays) ont décidé de porter plainte au pénal.
Ils ont peu de chance d’être entendus, mais un petit éclat médiatique n’est pas à négliger pour que les Autrichiens finissent par se rendre compte du danger.

Jérôme Segal