Aveuglements

mis en ligne le 8 novembre 2012
« Les anarchistes, (si tant est que l’on puisse les regrouper dans un même ensemble, idéologiquement homogène), ne sont plus (pas) crédibles comme force d’émancipation. Intellectuellement fainéants, leur rejet des connaissances techniques et scientifiques, (ils n’ont pas progressé depuis au moins trente ans dans les sciences dures mais aussi en sociologie, anthropologie, éthologie, économie…) les conduit de défaites en régressions, d’aigreurs en névroses. Compte tenu de leurs forces militantes modestes, ils sont trop dispersés et agissent sans projet clair. Du coup, comme leurs objectifs ne sont pas bien ciblés et assez futuristes, ils n’ont pas de réflexion suivie sur la stratégie à moyen et long termes, sur les moyens qu’ils doivent se donner pour progresser. L’évaluation a posteriori des actions et de périodes passées est, elle, totalement absente. Les anarchistes servent donc de plus en plus de forces d’appoint à des mouvements plus forts qu’eux. » Je sais, c’est un peu difficile à digérer. C’est ce que Javali Negro m’avait écrit tantôt. Ces critiques inspireront encore ma chronique dans les semaines qui viennent.
Hier, je discute avec une pharmacienne en hôpital, qui me dit avoir acheté le livre des docteurs Debré et Even : Guide des 4 000 médicaments utiles, inutiles et dangereux. Surprenant, choquant même ainsi docteurs et étudiants de son service, qui se refusent à acheter ce livre, même si certains l’ont feuilleté en douce en librairie, regardant autour d’eux pour ne pas être repérés par un confrère… ou un patient ! Ainsi les premiers concernés, ceux qui devraient par éthique, par professionnalisme, par rigueur scientifique, par respect pour leurs malades se précipiter sur ce livre, le discuter point par point, en critiquer peut-être des formulations ou des conclusions péremptoires, s’y refusent. Ils sont dans le déni.
Et je n’ai pu m’empêcher de penser aux communistes staliniens ou maoïstes qui, recevant des informations sur les crimes commis au nom de leur idéal, se refusèrent, pendant des décennies, à regarder la réalité en face. La croyance, la foi étaient plus fortes que les arguments et les preuves matérielles. « Oui mais on a rien d’autre ! », c’est ce que répond le monde médical lorsqu’on lui dit que l’Aricept, censé guérir d’Alzheimer, n’est d’aucune efficacité. C’est aussi ce que pensaient les communistes… Le docteur Debré préconise « le déremboursement des médicaments inefficaces ». Et, naturellement, le retrait de ceux dont on connaît la dangerosité. Il rappelle que « chaque année en France, on déplore 20 000 décès et 100 000 hospitalisations liés à la seule prise de médicaments ».
(Les milliers – ou millions – de morts ne pèsent guère lorsque l’on est croyant. Puisqu’il s’agit toujours de créer un monde meilleur, dans la balance, les morts d’aujourd’hui sont quantité négligeable face à la multitude des bienheureux de demain…) « Le simple déremboursement de ces médicaments permettrait de redresser les comptes de la Sécu ! Ce ne serait pas un luxe dans une situation sociale si difficile où il faut traquer les déficits publics, non ? Mais c’est manifestement sans compter sur le fait qu’en France, l’industrie pharmaceutique est sans doute la plus lucrative, la plus cynique, la moins éthique de toutes. Sur les quarante présidents des commissions de l’Autorité de mise sur le marché des médicaments (AMM), il y a trente et une personnes qui, aujourd’hui encore, sont sous contrat privé avec des laboratoires pharmaceutiques… ou ont des actions dans ces mêmes labos. Ils sont du coup juges et parties. Il me semble que cela s’appelle un conflit d’intérêt, non ? » Et c’est un politique de droite qui balance cela ! Je repense à mes ex-dirigeants trotskystes qui, à la ville, étaient visiteurs médicaux… Devinez de qui je me sens le plus proche ?
Quel est le rapport entre ces paragraphes ? Nous, anarchistes, avons un devoir de remise en cause permanente. Cela vaut aussi pour nos actions, nos alliances, nos schémas, nos croyances, nos mythes, notre communication, nos insuffisances. Travail critique, droit d’inventaire, décorticage du corpus d’idées, des politiques, des pratiques. Bilan des décennies antérieures… À quoi servent les anarchistes ? Qu’ont-ils à apporter d’original ? En prennent-ils les moyens ? Le déni ne résout rien, il retarde. Et de fait, comme disait le groupe d’artistes Présence Panchounette : « L’avenir a du retard. » Nous en sommes en partie responsables.