Actualités anarchistes de Grèce

mis en ligne le 7 novembre 2012
1686GreceAthènes, été 2012. La rencontre de quelques anarchistes vivant dans ce pays me permet de faire un bref et modeste retour sur ce que j’ai pu comprendre et percevoir au plan politique, et particulièrement à propos du mouvement anarchiste.
Tout d’abord, il peut être malvenu de parler de mouvement, certains préférant le terme d’« espace », au vu des problèmes d’organisation et de structuration des différents militants. En effet, l’anarchisme est partout en ce moment en Grèce. Sur les murs bien sûr (un militant me disait qu’il y a dix ans les murs de son quartier étaient blancs et qu’ils sont aujourd’hui peuplés d’affiches et d’écrits anarchistes), mais aussi dans la tenue et le style des jeunes gens. On peut de suite penser à une mode, et cela d’autant plus que les organisations et les idées libertaires dans ce pays sont très jeunes. Par exemple, le plus vieux groupe anarchiste (en français, son nom donne à peu près « Union anarchiste ») ne rassemble qu’une poignée de gens et date des années 1980. Or, ce serait aller vite en besogne et oublier le contexte socioéconomique récent et la riche histoire de luttes et de réflexions politiques de ce pays.
En effet, bien que tout ce soit accéléré depuis la révolte de décembre 2008 (en lien avec la mort du jeune Alexis Grigoropoulos), et l’arrivée de « la crise » qui se situe à quelques mois près autour de cette période et qui marque une rupture unanimement partagée par le peuple, certaines pratiques et organisations étaient déjà là, et d’autres s’expliquent en partie par ces bouleversements subis unilatéralement.

Espace de démocratie directe
Les assemblées de quartier se diffusent largement. Dans et autour d’Athènes, on en dénombre environ une quarantaine à ce jour. Elles constituent évidemment un espace où les idées anarchistes sont fortement présentes influençant, pour le coup, les pratiques. La démocratie directe est de la partie, systématiquement. Rien à voir avec le mouvement des Indignés (qui a également eu un certain succès en Grèce) puisque ces assemblées existaient bien avant et ont un encrage local bien plus conséquent. En prenant, et survolant, l’exemple d’une des premières d’entre elles, on appréciera l’intérêt politique et social de ce genre de pratique.
Dans le quartier populaire d’Athènes nommé « Petralona », en 2003, l’État prit la décision de privatiser une colline sauvage jouxtant ce quartier. Mais c’était compter sans la réaction des habitants qui se sont organisés très vite en assemblée de quartier pour faire reculer ce projet. Depuis, la colline est libre, les assemblées continuent chaque semaine, atteignant dans les moments critiques 1 000 personnes, et un centre sociomédical, ainsi qu’un restaurant, ont été ouverts sans aucun lien avec l’État. Ces deux dernières initiatives sont issues de l’assemblée de quartier et fonctionnent de la même façon : assemblée toutes les semaines, horizontalité pour les prises de décisions, tâches qui tournent autour du bénévolat, de la gratuité ou de la participation libre pour tous.
En ce qui concerne l’espace social pour la santé, appelé « Pikpa » (nommé ainsi puisque le bâtiment occupé est un ancien centre médical pour enfants handicapés), l’État l’avait fermé pour raison économique. Ce squat n’existe que depuis un an environ. Quatre médecins spécialistes viennent y délivrer des consultations gratuites deux fois trois heures par semaine. Ils proposent aussi un échange de savoirs et de transmission afin que les personnes investies dans le squat puissent participer au soutien des personnes en demande d’aide. Les conditions sociales sont bien sûr prises en compte de manière importante et ne sont pas dissociées de l’état de la santé de la personne qui vient consulter. Il y a aussi un groupe « autothérapeutique » qui s’apparente à un groupe de parole pour personnes en demande de soutien psychique. Au rez-de-chaussé, se trouve le lieu réservé aux enfants avec tout un tas de jouets.
Le restaurant, quant à lui, est ouvert tous les jours et peut accueillir 80 personnes. La participation est libre, ce qui implique qu’il est possible d’y manger gratuitement.
Tout se fait dans l’illégalité puisque l’eau, l’électricité sont piratés, la bouffe et les médicaments étant détournés. Et lorsqu’on pose la question d’une éventuelle intervention policière pour fermer tout ça, les gens vous regardent bizarrement, le sourire aux lèvres, vous faisant comprendre que ce n’est pas possible. La légitimité de ces endroits est telle que si l’État venait à les fermer, le quartier pourrait se révolter immédiatement.
Les assemblées de quartiers n’existent pas encore dans tous les quartiers de la capitale, mais elles méritent d’être connues. C’est d’ailleurs ce qui se passe puisque depuis quelques mois seulement, elles se coordonnent au niveau de la ville dans un réseau. En plus des échanges et des solidarités qu’elles engendrent (alimentation, énergie, vêtements, etc.), elles constituent une force politique puissante. À la fois capable de prises de décisions qui débouchent sur des actions concrètes (transformation d’un parking en jardin public ou blocage d’une imprimerie de factures d’électricité), elles sont unificatrices lors des mouvements sociaux et constituent un endroit où la démocratie directe peut vivre et respirer librement. De plus, ces derniers temps, certaines assemblées se sont davantage impliquées dans la lutte antifasciste face à l’essor des néonazis.

Maturation du mouvement anarchiste
En ce qui concerne les groupes anarchistes, eux aussi méritent de s’agrandir. Nombreux dans et autour d’Athènes, il ne regroupent que peu de monde et restent donc limités en termes d’action et de propagations des idées anarchistes. En fait, beaucoup de militants ont reconnu que l’organisation était leur gros problème.
Il y a plusieurs raisons à cela. Le mouvement est jeune et comporte beaucoup de jeunes gens.
D’autre part, beaucoup d’anarchistes rejetteraient, voire mépriseraient, la théorie libertaire. Cela est probablement dû au fait que beaucoup d’entre eux associent les intellectuels à la gauche parlementaire et que l’urgence sociale et politique du moment ne laisse que peu de place à la théorie, au profit d’un pragmatisme quelque peu inquiétant par moments.
C’est pour cela que beaucoup de personnes passent par le social pour, dans un second temps, s’identifier et s’exprimer politiquement. Les squats illustrent cela et mériteraient un article entier à eux seuls. Souvent à des fins pratiques, des militants ouvrent un lieu, organisent des activités sociales, culturelles et politiques et affirment ensuite une position idéologique, ce qui les rend ainsi partie prenante de la mouvance anarchiste.
Cela est sensiblement identique dans les facs. En effet, il faut aussi avoir en tête que le courant anarchiste circule beaucoup dans les facs à travers des « squats universitaires ». Profitant d’une vieille loi grecque qui empêche les flics d’entrer dans les lieux d’éducation, les militants ont occupé des salles et y ont construit des lieux autogérés pour héberger leurs réunions, débats, bibliothèques, etc. qui ont comme public le monde universitaire, et parfois plus. Ils publient des magazines et brochures, ils prennent des initiatives pour conduire des actions, ils organisent des appels pour des réunions générales aux universités, ou même des réunions locales avec des habitants. Ils soutiennent les luttes syndicales des travailleurs dans les universités et ils hébergent des moyens d’information alternative comme des stations de radios libres, des serveurs internet anarchistes qui offrent des possibilités importantes.
Sans proposer une liste exhaustive, j’ai appris qu’il y avait quasiment dix groupes libertaires dans et autour d’Athènes. J’en cite quelques-uns à titre d’exemple.
Le groupe Antipnoia, se trouvant dans le quartier de Petralona, existe depuis 2007. Il se réunit dans un local dont le loyer est payé par les membres du groupe. Les cotisations sont libres et servent aussi à fabriquer un journal gratuit tiré tous les 4 à 6 mois à 5 000 exemplaires et qui est distribué dans quatre quartiers et dans les squats de la ville. Leur petit nombre (une vingtaine de personnes) rend l’organisation assez simple et leurs statuts assez larges.
Le groupe Alpha-Kappa est un mouvement anti-autoritaire existant depuis 2003 un peu partout dans le pays. Il se retrouve sur des bases informelles avec comme statuts l’absence de hiérarchie, l’absence d’élections et l’absence de prise de pouvoir. À Athènes, ils se réunissent dans un grand et vieil immeuble au centre d’Exarchia qu’ils louent pour en faire un centre socioculturel autogéré. Ils fonctionnent en assemblées ouvertes et utilisent le vote pour la prise de décision. Surfant sur un courant postmoderne, il publient un magazine tous les trois ou quatre mois, que les membres du mouvement s’approprient en le vendant eux-mêmes pouvant ainsi récupérer 50 % du prix coûtant. Ils ont dû abandonner le journal vendu en kiosque pour des raisons financières. Apparemment peu apprécié du mouvement libertaire grec, il leur est reproché une ouverture aux médias bourgeois et une hiérarchie, dans les faits, trop importante.
Le groupe communiste libertaire existe depuis 2008 et regroupe une quinzaine de personnes. Ils sortent une revue qui s’appelle Utopia, alimentent un blog et organisent différentes actions à des fins de diffusion des idées anarchistes. Ils prennent leurs décisions à l’unanimité et donnent ce qu’ils veulent pour financer le loyer et le matériel de propagande. Ils partagent un local avec deux autres groupes anarchistes, dont les noms traduits en français donnent « Anarchistes pour la libération sociale » et « En route ».
Tous ces groupes comportent bien sûr des nuances politiques mais présentent malgré tout une certaine unité, puisque certains d’entre eux (quatre ou cinq groupes) se réunissent toutes les semaines lors d’une des deux assemblées anarchistes ayant lieu à la fac polytechnique dans le quartier d’Exarchia. Cette assemblée définie « pour l’autogestion sociale » existe depuis septembre 2010 et regroupe chaque semaine une quarantaine de personnes, dont certaines sont mandatées par leur groupe. Actuellement il serait question, au sein de cette assemblée, de constituer une fédération anarchiste afin d’avoir un poids politique plus important. Dans un premier temps entre certains groupes, puis avec toute la mouvance anarchiste. Cela semble bien sûr très compliqué, à la fois entre les groupes entre eux et entre les groupes et les individualistes…
L’autre assemblée anarchiste, ayant également lieu chaque semaine et au même endroit, est une assemblée ouverte existant avant la crise et où se trouvent plutôt des anarchistes individualistes et insurrectionnalistes. Cette assemblée-là souffre de divisions en lien avec les questions insurrectionnalistes, et cela d’autant plus après la mort d’employés de banque en mai 2010 lors d’une grève générale.
J’ai volontairement omis de parler des anarchistes organisés dans le syndicalisme. Cela fera l’objet d’un prochain article dans Le Monde libertaire, avec l’interview d’un syndicat anarchiste grec (ESE).

Romain
Groupe Sanguin de la Fédération anarchiste



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


Hijo del Pueblo

le 9 novembre 2012
Excellent article, d'autant qu'il y a peu d'analyses sur le même thème concernant la Grèce.
En plus d'ESE, il y a aussi Rocinante, sur des bases proches.

clairethno

le 12 novembre 2012
Merci pour cet article très instructif. L'école polytechnique d'Athènes est un lieu riche en rencontres et qui redonne de l'espoir à ceux qui, comme moi, avaient perdu leur flamme.