Libertés (fiction)

mis en ligne le 18 octobre 2012
La crise touchait à sa fin. Le pays venait de vivre de dures années, mais l’agriculture se relevait, et les exportations étaient en hausse significative. Les étudiants n’étaient pas entièrement satisfaits des réformes, mais ils entrevoyaient enfin un avenir correct. Cela ne durerait peut-être pas, mais pour le moment, le calme et le dialogue se maintenaient. Enfin, pour la première fois depuis plus de cinquante ans, le chômage avait fait un recul réel.
Aussi le président fut-il surpris d’entendre, approchant des fenêtres de l’Élysée, le
brouhaha typique des manifestations.
— Qui est-ce ? demanda-t-il.
Il pensait avoir accordé audience à tous les corps de métier. Tous les secteurs embauchaient ; les budgets de la santé et de la culture avaient été revus à la hausse… Des sans-papiers ? La nouvelle constitution interdisait formellement tout renvoi à la frontière. Et la relance économique demandait plus de main d’œuvre qu’on en avait. Alors ?
— Ce sont des anciens producteurs de tabac, lui annonça son secrétaire. Ils demandent qu’on arrête toutes les campagnes d’information sur les risques de cancer. Ils disent que c’est liberticide ; beaucoup d’entre eux ont dû changer de métier.
— Et puis quoi ? grommela le président. Bientôt les anciens bourreaux vont m’imposer de rétablir la peine de mort…
— Ils sont parmi les manifestants, l’interrompit le secrétaire.
— Quoi ? Qui ?
— Les anciens bourreaux, et fils de bourreaux. Ils font valoir leur droit à exercer leur profession.
Le président se servit un whisky.
— Et le droit à la connerie, il est inscrit où ? soupira-t-il.
— Pardon, monsieur ?
— Non… rien.
Il approcha d’une fenêtre. Dehors, la foule était compacte, les banderoles arboraient toutes les couleurs, mais tous les slogans parlaient de liberté.
— Et eux ? demanda le président en désignant une masse de manifestants en blouse blanche.
— Le corps médical.
— Ils ont pourtant accepté leur nouveau budget !
— Ce n’est pas le problème. Ils soutiennent les producteurs de tabac : avec la baisse de la consommation de tabac, ils ont moins de cancers à soigner. Et derrière, ce sont les pompiers : ils demandent qu’on abolisse la prévention routière et qu’on autorise la mise sur le marché de jouets inflammables.
— Il n’y a pas de chasseurs ?
— Non, pourquoi ?
— Appelez leurs représentants, ordonna le président. Demandez-leur s’ils ne veulent pas qu’on instaure une chasse aux cons.

Venetza



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


Mad Mack

le 13 février 2016
Ce petit récit est tout bonnement excellent ! Dommage que ce style de parenthèse fictionnelle n'ait été qu'exceptionnelle, c'est une bonne récréation qui donne à réfléchir en même temps. Bravo à l'auteur ! (je ne reconnais pas ce non mais c'est sûrement un contributeur régulier qui a changé de pseudonyme pour l'occasion, non ?)