Chameliers et dresseurs de chevaux

mis en ligne le 4 octobre 2012
Un film d’une telle intelligence doit être protégé par de délicates mesures d’approche. Premier coup de génie : ne pas partir des manifestations de la place Tahrir, mais de la charge des chameliers envoyés par l’ancien régime de Mubarak matraquer la foule, le 2 février 2011. Le chamelier de Nasrallah ne supporte plus d’être dans la misère amenée par ces mêmes manifestations. Il fait partie des bédouins, la plus ancienne population d’Égypte à s’être installée près des pyramides et à louer ses services aux touristes. Que faire quand ils n’arrivent plus ? Plus de travail, plus de quoi nourrir ses bêtes et sa famille. Il accepte donc l’argent et va réprimer les manifestants. La journaliste du film essaie de connaître ce qui le meut, s’approche de lui, de son art – il est aussi dresseur de chevaux –, de sa famille et de ses enfants. Car Mahmoud (Bassem Samra, l’acteur que Nasrallah révéla par Mercedes), malmené par la foule, est devenu la risée de son quartier, et ses gosses et sa femme sont victimes d’agressions verbales et de rixes. Et c’est là que Nasrallah met toute son intelligence en branle : comment expliquer ce qui s’est réellement passé, comment leur faire prendre conscience que ces enfants qui se battent entre eux seront amenés à travailler et à lutter ensemble demain ? Pour les femmes, c’est pareil : sortir de la rivalité des sentiments, affronter quelque chose de plus grand. Mena Shalaby, qui incarne Reem, la journaliste obstinée, amoureuse du chamelier qui devient amie de sa femme et de ses enfants, est une star en Égypte. Fatma (Nahed el-Sebaï) mariée au chamelier, est une femme libre dans sa tête, alors que la journaliste Reem, se bat à la fois pour son divorce et avec ses collègues de travail pour faire passer une autre compréhension de « l’ennemi du peuple ». Le chamelier dépend du système clanique et ces anciens seigneurs du désert ne sont pas des hommes libres, car on les parque derrière un mur, on voudrait démolir leur quartier et ils doivent des actes d’allégeance envers le caïd qui contrôle l’habitat et leur travail.
Il suffit de jeter un regard sur le film Les Femmes du bus 678 (Cairo 678) de Mohamed Diab, qui met en scène trois femmes courageuses sexuellement harcelées dans la vie quotidienne, un film militant, alors que Nasrallah fait à chaque plan de la mise en scène et un travail de cinéaste. Comme dans ses Femmes du Caire, chaque incident devient un récit à tiroirs qui nous emmène vers une plus grande compréhension des désirs contradictoires qui agitent ces acteurs de l’histoire égyptienne.