Anarchisme et politique économique (1re partie)

mis en ligne le 4 octobre 2012
Le sujet de cet article peut paraître surprenant, mais je pense que si nous voulons cesser d’être une secte agissant en marge des grands courants politiques et sociaux, il va bien falloir se poser la question : les anarchistes doivent-ils envisager de mener une réflexion sur la mise en œuvre d’une politique économique ?
C’est une vraie question piège parce que beaucoup de libertaires aujourd’hui en sont encore à s’imaginer qu’il va y avoir un jour une révolution fondée sur les modèles du passé, et où, évidemment, les libertaires seront tellement nombreux et tellement implantés dans les masses populaires qu’ils seront les seuls, ou quasiment les seuls acteurs de la révolution, et qu’ils seront ainsi en mesure d’appliquer leurs options sans se préoccuper de l’existence d’autres courants politiques.
Malheureusement, il est fort à parier qu’aucune révolution future ne renouvellera les schémas du passé. Il nous faudra donc faire preuve d’un minimum d’imagination pour expliquer quel type d’organisation économique et sociale correspondrait à l’approche libertaire.
Quelle que soit la manière dont se fera le grand chambardement, à supposer même qu’entre-temps nous nous soyions considérablement développés, nous ne serons pas les seuls sur le marché de la révolution, beaucoup de monde se bousculera au portillon pour proposer ses solutions, et si ce jour-là nous n’avons pas quelque chose de cohérent dans la manche, nous retournerons au rôle traditionnel que nous jouons depuis maintenant des décennies, celui de mouche du coche de la gauche.
Se posera donc de manière aiguë la question a) de définir quelles seront nos propres options, et b) comment nous allons les rendre plus attractives, plus réalistes, plus constructives que celles de la concurrence. J’ajouterai même un dernier point c) étant donné que nous ne serons pas les seuls en lice, quels types de compromis, d’alliances sera-t-il nécessaire ou possible de contracter avec des courants plus ou moins proches, et dans quelles conditions ?
D’ailleurs, il n’est même pas certain qu’il y ait une révolution un jour, dans le sens où nous l’entendons aujourd’hui, et s’il me paraît évident que des mutations profondes modifieront l’organisation actuelle de la planète, elles se feront selon des modalités auxquelles nous n’aurons pas pensé et que nous ne pouvons pas imaginer.
Le seul concept économique publiquement « visible » dans la propagande libertaire d’aujourd’hui est le concept extrêmement vague d’« autogestion », sans que personne n’explique jamais comment on va « autogérer » les transports ferroviaires, la fabrication et la distribution d’énergie, etc., ni comment seront déterminées les politiques sur lesquelles seront fondées ces activités, et toutes les autres.
La question piège a encore un autre aspect. C’est bien beau de faire des propositions correspondant à ce qui pourrait être dans l’après-« grand soir ». Mais il y a toute la période intermédiaire entre maintenant et ledit « grand soir ». Devons-nous adopter l’attitude hautaine de ces révolutionnaires qui pensent que seule compte la révolution, et que tout ce qu’on fera entre-temps n’est que de la compromission réformiste ? Cette attitude-là est extrêmement commode pour justifier l’absence totale d’action.
Littéralement, le réformisme ne désigne pas l’action visant à obtenir des améliorations de ses conditions d’existence, il désigne l’idée selon laquelle il serait possible de réaliser le socialisme progressivement par une suite de réformes successives. Cela n’a rien à voir avec le seul fait de revendiquer. Il serait temps de remettre en cause l’opposition entre « réforme » et « révolution ». Jusqu’à présent, si le réformisme n’a rien changé de fondamental, on peut dire que la révolution non plus.