Fossiles vivants ?

mis en ligne le 13 septembre 2012
Soit une réunion départementale où l’on discute pendant une journée du fonctionnement d’un syndicat. Les attributions, les décharges horaires, le matériel d’adhésion, les commissions ceci ou cela, les réunions ici, là-bas, à Paris. Normal, me direz-vous ? À la fin de la journée, compte rendu du congrès, national celui-là, qui s’est déroulé quelques semaines plus tôt, où l’on décrit motions, prises de becs et noms d’oiseaux. Constructif ! À tel point qu’il faudra refaire un congrès extraordinaire pour finir d’écluser le stock d’amendements… Mais sur la situation économique ? politique ? Les conséquences sur les conditions du militantisme sur le terrain ? Les perspectives ? La stratégie ? Rien ou pas grand-chose. « Ah oui c’est vrai, on n’en a pas beaucoup parlé… »
C’est un exemple parmi d’autres : j’ai l’impression de vivre cela depuis des années, un peu partout.
Mais alors ? Qu’arrive-t-il à ces regroupements militants ? On assure le fonctionnement. Il y a des fonctions et cela « fonctionne », comme en vase clos, dans
une bulle. Pas pontificale, mais pourtant… Il y a un cérémonial, des accessoires (drapeaux, banderoles, badges ; graphiques et PowerPoint…), un décorum, un protocole, des traditions transmises, comme leur nom l’indique, à des individus attachés à leur sauvegarde et à celle d’un appareil. Évidemment, très vite, la sauvegarde de l’appareil peut se transformer en sauvegarde des intérêts et avantages de ceux qui s’identifient à l’appareil, mais n’allons même pas jusque-là. Il n’est pas question ici de dénoncer des privilèges ou des passe-droits, des petits pouvoirs qui deviennent gros si…
Je m’interroge seulement sur la faculté qu’ont des gens réunis par un intérêt commun à créer un outil puis, rapidement, à ne plus penser qu’à cet outil. Pour celui qui débarque, nouvellement gagné, elles semblent oubliées, les idées qui mobilisèrent au départ, qui incitèrent au regroupement des volontés, des énergies. Comme s’il était établi que tout le monde est d’accord, ayant adhéré sur les mêmes bases, les mêmes principes. Et que cela ne bougerait plus.
Bien sûr, il est normal d’assurer la pérennité d’une structure, de donner une stabilité matérielle à des idées, d’organiser le quotidien, de mettre en place des moyens humains, financiers qui garantissent une autonomie, etc. On s’y sent bien, entre nous, un peu à l’abri. Mais à ne pas « causer idées », on ne doute plus, on s’encroûte. On fige, on meurt. Oh, ce ne sont pas forcément les militants qui disparaissent ! Ils ont même la capacité de se reproduire… C’est le flux d’idées qui s’épuise, la créativité, l’invention. C’est la fossilisation.
Il existe ce que l’on nomme parfois des « fossiles vivants », des « relictes », qui sont associés à des niches, habitats limités, stables, qui jouent un rôle conservateur. Mais les aires relictuelles correspondent à des populations en déclin, en « déphasage » avec les autres aires et espèces en pleine vigueur. Certaines espèces franchissent ainsi des millions d’années. Mais elles sont incapables lors de grands bouleversements de survivre hors de leur aire relictuelle.
Or les temps à venir vont exploser l’existant – cela a déjà commencé depuis… –, des problèmes inédits vont se poser, les frontières idéologiques en seront chamboulées. Vous voyez le genre de question qui me hante : sommes-nous des relictes ?
Cependant, toutes les espèces liées à un habitat spécialisé, relictuel, ne sont pas pour autant anciennes et primitives. Des groupes « jeunes » et en pleine expansion peuvent s’adapter à de tels milieux, il ne s’agit alors pas du tout de « fossiles vivants » !
En espérant donc que nous saurons propager, hors de notre aire relictuelle, l’essentiel de ce qui nous anime, de ce qui sera utile pour impulser une autre organisation humaine.