Subvertissons notre militantisme !

mis en ligne le 28 juin 2012
C’est l’été et bientôt les vacances. Les plages du Sud vont se peupler de travailleurs qui, le temps de quelques semaines, vont pouvoir oublier le quotidien stressant, oppressant, difficile, si ce n’est insupportable pour certains, des rapports de production capitalistes. Nous allons tous essayer d’en profiter, où que nous soyons, d’une façon ou d’une autre et, quelque part, on aura bien raison. Certains resteront cloîtrer dans leurs barres et leurs tours, faute de moyens pour aller voir ailleurs ; d’autres, un peu plus aisés (mais tout aussi exploités), iront siffler une bière ou deux sur une plage bondée, sous un parasol bon marché et regarderont la bourgeoisie défiler dans des yachts indécents devant leurs yeux (et certains espéreront de tout cœur la venue d’une tempête soudaine, avec une armada de requins bouffeurs de riches, comme dans les films). Après, et seulement après, on retournera au turbin. Normal, faut payer le sandwich.
Mais les esprits ne seront pas tous aussi détendus que les Plus belle la vie et autres telenovelas à deux balles veulent bien essayer de nous le faire croire. Eh ouais, la rentrée s’annonce costaud. Air France vient d’ailleurs d’annoncer la couleur : 5 122 suppressions de postes d’ici à décembre 2013. Et ce n’est pas le seul. L’Afpa, au bord du gouffre, court à sa disparition et en appelle au nouveau gouvernement pour sauver les meubles. Sans oublier les Fralib, les Mittal et autres grandes luttes ouvrières qui, malgré les rencontres avec les élus et leurs promesses, ne voient pas leur situation s’améliorer. Les drapeaux roses du socialisme républicain ont beau flotter sur les toits de l’Élysée, la situation économique et sociale ne s’en dégradera pas moins.
Avec la fin des élections se ferment les portes de la démagogie électorale et s’ouvrent celles des plans sociaux. Le lendemain des vacances sera semblable à une grosse gueule de bois qu’on aura bien vue venir mais contre laquelle on n’aura pas fait grand-chose, ou si peu. Parce que le militantisme finit bien souvent par adopter les caractéristiques de l’habitude, de la rengaine, du quotidien. On ne le vit plus comme l’expression d’une révolte consciente qui cherche à devenir révolution, mais comme une partie de notre vie, au même titre que le taf, les RTT, les vacances, etc. Nos luttes s’affaiblissent, se « pantouflardisent ». On les met entre parenthèses pour aller au bord de la mer et on reporte à septembre les prochaines actions militantes. S’il est bien normal que l’on prenne un peu de bon temps pour se reposer, se vider la tête, profiter de son éventuelle famille et de tout le toutim (à moins d’atteindre le fameux « stade suprême de l’aliénation »), tâchons de préserver notre conscience de classe des travers de la quotidienneté. À l’heure où les offensives libérales se multiplient et où l’État se pose de plus en plus comme le serviteur fidèle et répressif du Capital, il nous faut bousculer et subvertir le train-train quotidien de notre militantisme pour lui redonner toute sa capacité d’offensive. Autrement, nous ne serons jamais rien d’autre que des groupuscules aux postures identitaires qui préfèrent chercher à préserver la place qu’ils ont réussi à se faire plutôt que de sortir du ghetto pour aller bâtir quelque chose de plus vaste dont ils ne seraient certes qu’un acteur parmi d’autres, mais un acteur avec des valeurs, des pratiques, des principes pertinents et un réel projet de société révolutionnaire à faire valoir.
Allez, camarades, on se retrouve à la rentrée, sur le pavé des rues, drapeaux et mégaphone à la main pour à nouveau tenter de construire ce fichu mouvement qui mettra à bas le vieux monde et jettera les jalons d’autres possibles qui, pour peu que l’on s’en donne les moyens, n’ont pas à attendre les prochaines vacances d’été. À moins que, d’ici là, une armada de requins bouffeurs de riches ait fait le boulot. Mais ce serait croire, là encore, que d’autres, fussent-ils de belles bêtes, puissent réellement travailler pour notre émancipation à notre place.