Anarchisme et mouvement social : coup de gueule contre le crétinisme puriste

mis en ligne le 7 juin 2012
Fralib sauvé par le gouvernement ? C’est à prévoir, la nouvelle présidence ayant besoin, en ces premiers pas de mandat, de bénéficier d’une certaine paix sociale pour asseoir son pouvoir. Rien n’est toutefois gagné pour l’instant, les négociations étant en cours ; gageons que les semaines à venir nous donneront suffisamment vite le dénouement – ou pas – de cette lutte engagée depuis plus de six cents jours.
En tout cas, dans le milieu libertaire, le combat des salariés de Fralib fait « jazzer » les claviers d’ordinateur et couler de l’encre. Et notamment sur le net où les critiques fusent de la part d’individus se réclamant d’un anarchisme pur, qui relève cependant davantage de la posture identitaire que d’une réelle compréhension des réalités sociales et des enjeux immédiats. Sous prétexte de cogner sur la CGT – présentée, sans aucun discernement, comme l’ignoble incarnation de la trahison des travailleurs –, ces ecclésiastes en rouge et noir semblent avoir pris un certain plaisir à dénigrer et à calomnier les travailleurs de Fralib. Que leur reprochent-ils exactement ? Entre autres d’être des « nationalistes », des adeptes du « produisons français », et ce pour avoir oser exiger du patronat qu’il ne délocalise pas à l’étranger l’usine et sa production de thé et d’infusion. Autrement dit, pour ces partisans d’un anarchisme soi-disant « social » – certains se réclament même de l’anarcho-syndicalisme ! –, se battre pour son outil de travail reviendrait à sombrer dans le nationalisme, voire la xénophobie. Je connais quelques vieilles barbes (au sens propre comme au figuré) qui se retourneraient dans leur tombe en entendant pareille absurdité !
Autre reproche adressé aux salariés de Fralib : faire appel au gouvernement pour trouver une solution qui leur soit le plus favorable possible. Si, en effet, l’émancipation réelle et globale des travailleurs ne saurait pouvoir venir d’un gouvernement – et ce quel qu’il soit –, peut-on pour autant jeter la pierre à ceux qui, après six cents jours de grève, des occupations d’usine, des manifestations, des résistances aux attaques et aux menaces des nervis de la direction, mettent leurs derniers espoirs immédiats dans les mains d’un président nouvellement élu qui cherche à se rendre populaire ? Pour l’heure, et en l’état, ce n’est pas la révolution sociale qui motive cette lutte, mais les loyers et les emprunts à payer. Et ce ne sont pas les discours maximalistes, même bien foutus et entraînants, qui amèneront demain les kopecks nécessaires dans les tirelires des familles. Et ceux qui leur jettent aujourd’hui des pierres devraient avant tout leur proposer de prendre financièrement en charge leur quotidien. Sinon, les gars, c’est trop simple. Et ridicule. Voire malsain.
Quoi qu’il en soit, ces experts ès radicalités semblent avoir oublié un aspect fondamental de la pensée anarchiste, et a fortiori anarcho-syndicaliste : celui de l’autonomie du mouvement social, notamment caractérisé par un rejet des donneurs de leçons et autres professionnels de la révolution qui nient les réalités difficiles et complexes du terrain de la lutte des classes pour dicter aux travailleurs grévistes ce qu’ils doivent faire.
Au final, c’est cette vieille opposition entre réformisme et révolution qui anime ces quelques vilénies, et l’esprit fatigué, ou fainéant, du militant « plus-radical-tu-meurs » qui analyse tout avec sa grille de lecture simpliste, ne laissant aux réalités que deux choix : le réformisme conservateur ou la pratique révolutionnaire émancipatrice. Si t’es pas l’un, t’es l’autre. Et c’est sans doute ce sectarisme idiot qui, aujourd’hui, est en partie à l’origine des difficultés du mouvement libertaire français à percer réellement dans la société en général, et dans le monde du travail en particulier. La figure du grand manitou ou de l’intellectuel supérieur qui croit tout pouvoir expliquer avec quelques slogans chocs en repousse sans doute plus d’un et entrave les efforts de ceux qui essaient de sortir l’anarchisme des postures exclusivement identitaires pour lui redonner son caractère éminemment social.