Lutter, c’est exister

mis en ligne le 10 mai 2012
À l’heure où ces lignes sont écrites, le dernier épisode de l’interminable feuilleton de l’élection présidentielle n’est pas encore passé. Cela dit, au-delà de la question du casting des cinq prochaines années, le scénario est déjà écrit par ceux qui gouvernent réellement ce monde, les financiers, les spéculateurs, les « investisseurs », bref les organisateurs du grand Monopoly mondial, ceux qui font et qui défont les gouvernements de droite comme de gauche au gré de leurs intérêts. Ce scénario s’appelle austérité à perpétuité, régression sociale, répression politique avec, en ligne de mire, la barbarie généralisée.
Un collègue de travail me disait : « T’as raison, mais j’y peux rien, je veux virer Sarko. » Je peux le comprendre, tout comme il est légitime de vouloir virer dans sa boîte un chef de service, un chefaillon d’atelier, un adjudant du quotidien particulièrement odieux. Mais cela ne change rien aux fondamentaux : les décisions du patron, du PDG, des actionnaires, les plans de licenciements, la hiérarchie des salaires, les profits capitalistes, les directives européennes, bref ça ne change rien à l’exploitation.
Or, au-delà des apparences du pouvoir, des gardes du corps, des palais élyséens, des grosses voitures, des discours sentencieux et dérisoires, les présidents et les chefs de gouvernement ne sont, au final, que les exécutants de politiques décidées en d’autres lieux que les parlements ou les conseils de ministres. Ce n’est pas un scoop, le programme du candidat « socialiste » n’effraie pas, c’est le moins que l’on puisse dire, la finance nationale et internationale. C’est peut-être, chuchote-t-on ici ou là (même si Le Figaro fait mine d’être fâché), le meilleur moyen, à cette étape, de faire passer les couleuvres sans trop de résistance sociale. Ces gens-là sont pragmatiques et mesurent les luttes qui s’amplifient dans de nombreux pays où les grèves et les manifestations d’ampleur s’enchaînent. On a même vu les Islandais virer gouvernement et banquiers et refuser de payer la dette !
Plutôt que de risquer l’explosion sociale à l’issue aléatoire, mieux vaut sans doute pour eux miser sur le « dialogue social », les « pactes sociaux », un accompagnement syndical encore plus marqué (même si le soutien de Thibault, que je ne confonds pas avec les militants CGT, et de son compère Chérèque à la politique sarkozyste depuis 2008 au moins aura été un des piliers du quinquennat), bref, une sorte d’anesthésie générale tout aussi dangereuse pour les salariés, chômeurs et retraités. Les plans de licenciements dans la métallurgie ou dans la grande distribution sont déjà préparés, les attaques contre la sécu aussi, tout comme la remise en cause du système de retraite par répartition menacé directement par une réforme « systémique » réclamée par la CFDT et intégrée comme perspective à la loi Fillon de 2010. Les discussions sur les « accords compétitivité emploi » initiées par Sarko il y a trois mois, et qui visent à exploser le Code du travail et les conventions collectives, vont-elles être suspendues ? Poser la question, c’est déjà y répondre.
Quand les militants du groupe la Sociale ont expliqué tout cela (et bien d’autres choses encore) lors d’un meeting de rue de haute tenue le 3 mai dernier, le plus bel « hommage » à notre travail d’explication et d’argumentation a peut-être été ce commentaire d’une employée d’un grand magasin, venue, par curiosité, écouter les anarchistes : « Finalement, vous êtes des gens très raisonnables. » Effectivement, c’est être raisonnable de ne pas participer à la duperie électorale, c’est être raisonnable de constater que, partout, les élections cassent ou annihilent les mouvements sociaux plus efficacement que des escouades de CRS, c’est être raisonnable que de proposer un autre système que la délégation de pouvoir (le chèque en blanc) et de lui préférer les mandats et leur contrôle, le fédéralisme et la gestion directe.
Mais c’est être raisonnable, aussi, d’accepter que d’autres pensent différemment du moment, qu’ils se situent sur un terrain de classe sans esprit sectaire ou partisan. Militants de la Fédération anarchiste, nous n’entendons pas recevoir de leçon politique de qui que ce soit, mais nous n’entendons pas non plus en donner. L’heure est à construire des perspectives de luttes sociales, non seulement défensives mais aussi porteuses de changements profonds. L’heure est à se battre partout, à commencer par les organisations syndicales pour se réapproprier les outils de lutte. Telle est notre conception, tel est notre mandat. Nous discuterons de tout cela lors de notre congrès fédéral les 26, 27 et 28 mai à Rouen, ville s’il en est significative du rôle que peut jouer la Fédération anarchiste et de l’implantation sociale et syndicale à laquelle nous pouvons prétendre. Il y a urgence à réagir. Il y a urgence à s’organiser.