L’autogouvernement de Cherán K’eri en résistance

mis en ligne le 26 avril 2012
1670CheranIl y a un an… Cherán K’eri. Communauté de 17 000 habitants, située dans l’État de Michoacán, ouest du Mexique. L’épaisse forêt qui y a élu domicile il y a des millénaires est la principale ressource économique de ceux qui y vivent, les Purhépechas. Alors, quand, il y a plus d’un an, des centaines de bûcherons liés à des groupes de narcotrafiquants ont commencé à abattre massivement ses arbres, les habitants de Cherán K’eri ont vivement réagi. Et ce d’autant plus que, non content de seulement couper les troncs, les « bûcherons mafieux » incendiaient les espaces après leur passage. Cette exploitation destructrice de la forêt n’était cependant pas nouvelle, et les habitants de Cherán K’eri affirment qu’elle a commencé en 2008. Pour les bûcherons qui s’y attellent, l’objectif est simple et éminemment capitaliste : s’enrichir en vendant le bois découpé à des entrepreneurs du coin, sans se soucier ni des locaux ni de l’environnement 1. Actuellement, plus de 15 000 hectares de forêt auraient été ravagés…
Quand la population de Cherán K’eri a manifesté ses premiers signes de résistance, les bûcherons, escortés par des hommes lourdement armés, leur ont signifié, par des menaces en tout genre, qu’ils avaient intérêt à se tenir tranquille s’ils ne voulaient pas qu’un malheur leur arrive. Le 7 février 2011, en exécution de ces premières menaces, Jesús Fernández Cervantes, qui s’opposait vivement au saccage de la forêt, est kidnappé. Depuis, personne ne sait où il se trouve ni s’il est encore de ce triste monde.
Mais les habitants de Cherán K’eri n’ont pas baissé les bras pour autant et, en mai 2011, plusieurs dizaines de femmes et d’enfants ont quitté la communauté pour s’en aller bloquer les routes par lesquelles, chaque jour, une fois leur sale besogne accomplie, les camions de bûcherons rejoignent la ville. Brutes confirmées, les mafieux ont immédiatement ouvert le feu sur les résistants. Un jeune homme de 24 ans est très grièvement blessé. Mais les habitants de Cherán K’eri parviennent tout de même à les faire reculer et, après quelques camions incendiés, les gorilles prennent la fuite, non sans promettre de revenir et d’exercer des représailles…
Comme souvent dans les périodes et les situations de lutte et de résistance, les gens redeviennent acteurs de leur existence, de leur vie, de leur quotidien, dont ils reprennent peu à peu la gestion en main – si toutefois le mouvement n’est pas parasité par des tribuns de toute sorte et autres avant-gardistes avides de contrôle (et de pouvoir). Même si l’on n’a pas lu les nombreux ouvrages parus sur la question de l’autonomie des luttes et de l’autogestion, on en vient, plus ou moins « spontanément », à s’auto-organiser, sans confier à d’autres notre avenir. Et c’est ce qui est arrivé aux habitants de Cherán K’eri qui, lassés de la passivité des autorités municipales face au pillage de la forêt et aux agressions subies, ont choisi de les congédier, en bonne et due forme. Le maire (PRD) et les flics locaux se sont ainsi retrouvés, du jour au lendemain, relevés de leur fonction par l’ensemble des habitants réunis en assemblée générale sur la place du village.
Depuis, la communauté de Cherán K’eri expérimente son autonomie : chaque dimanche, les résidants se réunissent en assemblée pour discuter, débattre et décider collectivement. Des commissions sont nommées pour travailler sur des sujets bien précis : de la santé à l’éducation en passant par la sécurité et la justice. Celle-ci, d’ailleurs, comme l’explique Jean-Pierre Petit-Gras dans l’article déjà cité, « s’appuie sur les us et coutumes, les principes du droit indigène » : gratuité, révocabilité des personnes choisies par l’assemblée pour rendre la justice, recherche de la réconciliation avant toute logique punitive sont les principaux traits de ce système « traditionnel ».
Quant aux partis politiques, les habitants n’y croient désormais plus du tout et ont décidé d’interdire leur présence au sein de la communauté. Imelda Campos, une femme de Cherán K’eri ayant participé au soulèvement, déclarait récemment : « Je pense que nous avons passé le plus dur, la première étape était de vaincre la peur et d’obtenir la mobilisation de toutes les personnes, il y a eu une très belle unité où tous ont participé. Nous disons “Plus de partis ici”, parce que les partis ont seulement divisé les gens et même des familles 2. »
Aujourd’hui, plus d’un an après le début de la résistance, la situation est toujours aussi tendue et la communauté de Cherán K’eri vit en permanence avec la crainte de représailles. Samedi 18 février dernier, un groupe de vingt comuneros qui travaillaient dans la forêt dans le cadre d’un plan de prévention contre les incendies ont été violemment agressés par des « bûcherons mafieux ». Dans cette embuscade, deux comuneros ont trouvé la mort (ils s’appelaient Santiago Ceja Alonzo et David Campos Macias) et deux autres ont été grièvement blessés.
Ces deux assassinats interviennent alors que la communauté de Cherán K’eri célèbre le premier anniversaire de son soulèvement (15 avril 2011), une façon, entre autres, de réaffirmer la volonté de lutter contre la destruction de leur forêt tout en construisant et développant l’autonomie de leur communauté. Celle-ci, d’ailleurs, semble prendre racine. Voici ce qu’en dit Sofía Ramos, une étudiante de Cherán K’eri âgée de 16 ans : « Une des principales difficultés auxquelles nous sommes confrontés est la nouvelle forme de gouvernement que nous avons parce que nous ne sommes pas habitués à cela, beaucoup ne parviennent pas à comprendre que nous sommes dans un processus qui prend du temps et qui nécessite de la patience. Mais je suis convaincue qu’avec le chemin de l’autogouvernement, il pourra y avoir des changements. Ça ne se fera pas d’un jour à l’autre, ni ne sera fait d’une seule personne, mais il faudra du temps et l’implication de toute la communauté 3. »
Du Chiapas au Michoacán en passant par le Guerrero, les indigènes du Mexique sont partout victimes des logiques capitalistes qui ne se soucient guère de tout ce qui vient entraver la réalisation de profits toujours plus juteux. Mais les résistances que construisent ces parias du libéralisme sont téméraires et nous autorisent encore à espérer. Car bien plus qu’une lutte pour la terre et la culture, c’est le projet d’un nouveau monde qu’elles portent dans leur cœur.







1. Voir l’excellent article de Jean-Pierre Petit-Gras publié sur Mediapart le 13 août 2011 : « Mexique : Cherán K’eri, autodéfense indigène ».
2. « Hablan las mujeres de Cherán K’eri, protagonistas de la insurrección », article publié sur Desinformémonos le 15 avril 2012.
3. Idem.