Traders et prédateurs

mis en ligne le 5 avril 2012
La vie est belle, le soleil brille. Sarkozy s’envole dans les cieux nébuleux de l’enfumage en déclarant : « Les chiffres de ce soir [25 mars 2012] manifesteront une amélioration de la situation avec une baisse tendancielle de l’augmentation du nombre de chômeurs. Cette augmentation sera assez modérée. » Grotesque et pathétiquement révélateur d’un système en déroute. Au moins la grammaire n’est pas massacrée, comme si souvent avec le leader du Sarkozystan. Il tente d’endormir ses interlocuteurs en employant de telles formules : on appelle cela la sarkolepsie. D’ailleurs, la potion marche relativement bien. Et pendant qu’il promet, au cours d’une campagne électorale malsaine, de « moraliser » la finance, les pontes de ce secteur, lesquels ont toujours plusieurs coups d’avance, inventent de nouveaux moyens de nous asservir davantage.
Les opérations de bourse étant entièrement électroniques, plus le dispositif technique (ordinateurs, réseaux, câbles de transmission, etc.) est performant, plus rapides sont les transactions et les échanges, plus importants seront les profits. C’est pourquoi les démiurges de la City de Londres (la place financière de Grande-Bretagne), constatant que le temps de transmission d’un ordre de bourse entre Londres et la bourse de Tokyo est d’environ 230 millisecondes – je répète : 230 millisecondes ! –, sont en train de mettre en place des réseaux câblés plus courts que ceux qui existent déjà afin que les ordres s’effectuent à des vitesses encore plus rapides (170 millisecondes !), garantissant des gains encore plus faramineux. Trois projets de dépose de câbles sous-marins sont en lice, entre 2013 et 2015 (Arctic Fiber, Arctic Link et Polarnet), lesquels traverseront notamment l’Arctique1. Les coûts sont estimés entre 1 et 2 milliards de dollars.
L’indécence de ces travaux est triple, à cause : 1) de la raison d’être du projet ; 2) des dépenses occasionnées (ces investissements seront remboursés sur le dos de qui ?) ; 3) de la démonstration que l’Articque va assurément devenir une zone où l’exploitation des ressources (minérales, pétrolières, etc.) ne résistera pas longtemps aux appétits des industriels et des États. Cela concerne notamment l’exploitation des hydrocarbures off-shore. La hausse tendancielle des températures locales permet d’ailleurs un accès facilité à ces zones par les supertankers, en ouvrant des voies navigables jadis inaccessibles (quel formidable résumé des ruses du capitalisme…), mais la dislocation plus aléatoire de la banquise qui résulte du dérèglement climatique rend plus contraignante l’exploitation de plates-formes offshore ; cependant, des techniques ont été mises au point ces dernières années pour remorquer et parquer les icebergs. Ne resteraient donc à l’avenir que quelques verrous juridiques issus des traités internationaux à faire sauter – ce qui ne sera sans doute pas longtemps un obstacle en un temps où le pétrole du Moyen-Orient devient de plus en plus cher. On sait par exemple que la Russie, aux mains du dictateur Poutine, envisage une militarisation de son littoral articque. Toujours est-il que la première étape d’une industrialisation de l’Articque passe par la mise en place d’équipements de communication, parmi lesquels ces câbles sous-marins évoqués plus haut. Le capitalisme a des coups d’avance, vous dis-je.





1. Jeff Hecht, « Fibre optics to connect Japan to the UK – via the Arctic », New Scientist, n° 2856, 17 mars 2012.